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son optimisme souriant. L’âge n’a eu raison ni de sa gaîté, ni de son talent dans l’art de causer. Elle est petite, ridée, voûtée. Son œil est perçant : son teint gâté par la petite vérole, sa bouche tiraillée par un tic nerveux. Elle prête à rire par les contradictions de son caractère : n’aimant pas les prêtres, elle a risqué sa tête en cachant des insermentés, et ridiculisant les pratiques religieuses, elle ne prend pas médecine sans esquisser un grand signe de croix. Qu’importe. Elle commande le respect, car elle est supérieurement grande dame.

Au milieu de ces « épaves » d’un ancien monde. Mme de La Fayette conserve sa grâce souriante. Elle est l’âme de la maison pendant les premières années du séjour à La Grange... Aussi bien sa mort fut-elle une irréparable perte... Depuis les malheurs de l’exil, elle se sentait lentement dépérir, — sans en dire mot, — toute à ses devoirs et à ses œuvres quand en 1807 son état s’aggrava subitement. Elle entendit le 11 octobre, pour la dernière fois, la messe dans son petit oratoire de La Grange : « Mon Dieu, mon Dieu, soupirait-elle, donnez-moi encore six pauvres semaines à La Grange ! » Elle ne fut pas exaucée et on dut la transporter à Paris. « Mon âme ne serait pas troublée, disait-elle à son mari à la fin de sa vie, si vous en épousez une autre après moi. Le parfait bonheur est dans le Paradis, mais on passe aussi de bons moments sur la terre. » Et puis, elle ajoutait encore : « Vous n’êtes pas un chrétien, vous ; je sais ce que vous êtes, un Fayettiste.

— Mais ne l’êtes-vous pas vous-même un peu ? murmurait le général.

— Oh ! si, de tout mon cœur ! »

Le 21 décembre 1807, Mme de La Fayette récita et commenta les prières catholiques avec une lucidité extraordinaire, elle entonna le cantique de Tobie qu’elle avait chanté jadis en apercevant de loin les murs de la citadelle d’Olmütz où elle allait s’enfermer... Les jours suivants, ses forces déclinèrent et le 24 décembre, à minuit, elle mourut à l’âge de quarante-huit ans. Son mari fit murer à La Grange l’appartement de celle qui, si souvent, avait été son bon ange. Bien des visiteurs durent s’étonner dès lors de ne plus voir au château aucun portrait de la défunte : La Fayette n’en conservait qu’un en miniature. Il ne s’en sépara jamais, le portant sur son cœur, et, sur son ordre, on le déposa dans son cercueil à l’heure suprême.