Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 53.djvu/201

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dîner, très simple, suivi de musique, de causeries, de jeux divers et le retour dans sa chambre, où il lit et travaille et dont il descend à dix heures et demie pour embrasser ses enfants.

Ou voudrait pouvoir faire défiler, comme sur un écran, l’incessante théorie des hôtes qui séjournèrent à La Grange pendant les dernières années de la vie de La Fayette. Comparer La Grange à Ferney serait excessif, car ce ne fut point un temple de la philosophie, mais bien un peu un coin de la vieille France que rajeunissent tous les souffles venus du Nouveau-Monde et qu’éclairent de leurs lumières, ou obscurcissent de leurs erreurs, les cosmopolites de marque.

Dès 1802, Charles Fox y séjourne avec sa femme, son secrétaire et le général Fitz Patrick. Ils évoquent avec La Fayette les souvenirs d’Amérique et sont enchantés de la cordialité française. « Les dames tiennent la maison de la manière la plus agréable du monde. » Ils retrouvent là le fils de Lally Tollendal, sur lequel La Fayette a reporté l’affection qu’il avait pour son père. C’est « un homme ouvert, honnête, agréable, véritable Irlandais pour la belle humeur et le sans-façon. »

Bien plus tard, sous la Restauration, Jérémy Bentham sera l’hôte de La Grange. Il y trouvera cette fois une brillante cohorte de ces grands seigneurs que l’on qualifiait sous la Révolution de « gentilshommes constitutionnels : » les Tracy, les Laubespin, les Ségur et les Broglie. « C’est un petit vieillard d’une assez belle figure, dit le duc de Broglie en parlant de Bantham. Il ressemble à Franklin, mais il est un peu radoteur. » Il se passionne avec La Fayette pour la culture des roses.

Lady Morgan, cette observatrice si aiguë des mœurs françaises, est aussi parmi les invités de La Grange. En 1818, notamment, elle y fait un séjour prolongé et s’y retrouve avec lord et lady Holland et les d’Argenson, Ary Scheffer, Augustin Thierry, « littérateur plein de promesses, » qui la charme en lui parlant de son vieil ami l’abbé Morellet et en lui disant que Walter Scott « est un grand maître en fait de divination historique, » une « délicieuse vieille, » la comtesse de Tracy, veuve du philosophe, Auguste de Staël, « le fils préféré de Mme de Staël, » deux Américains qu’elle ne nomme pas, le prince et la princesse de Beauvau.

« Quelle belle propriété, lui dit Lady Morgan, quel bel héritage pour vos enfants !