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— Il n’y a, lui répond gravement La Fayette, qu’un bel héritage : une bonne éducation morale, intellectuelle et physique. » Et en manière de commentaire, il récite à Lady Morgan le Vieux vagabond de Béranger.

Plus tard, La Fayette recevra à La Grange, le jeune Américain Greene, petit-fils de son compagnon d’armes, et il s’amusera à le placer devant le portrait de son aïeul pour « constater la ressemblance. » Il recevra aussi Fenimore Cooper avec sa famille et quelques Indiens. Bref, les Américains qui viennent à La Grange sont si nombreux qu’à Rozoy les enfants ont coutume — pour obtenir de gros pourboires — de s’offrir comme guides aux « Messieurs d’Amérique. »

Parmi les hôtes de La Grange, plusieurs sont assidus pendant nombre d’années, notamment Carbonnel, ancien professeur de musique de la reine Hortense, l’ami de Mme de Souza, qui, chaque soir, égayé de ses romances les dix petits enfants de La Fayette ; le docteur Sautereau ; le médecin anatomiste Cloquet ; cet étonnant baron Vivant Denon qui, après avoir brillé sous Mme de Pompadour, accompagna Bonaparte en Egypte et fut directeur général des musées sous l’Empire ; Humboldt ; le botaniste Jacquemont, connu par son voyage aux monts Himalaya ; Mme de Staël ; le diplomate Pougens dont les curieux Mémoires sont trop peu consultés, Mme de Simiane, la grande amie de La Fayette, qui, Jadis, munie d’un faux passeport, s’est échappée de France exprès pour retrouver le général quand il quitta Olmütz...

Tous ces invités se plaisent à La Grange dont l’atmosphère les repose de l’existence artificielle des villes. Ils aiment à suivre La Fayette qui « donne le ton » et qui les emmène en de « longues flâneries » dans la campagne où il a le souci continuel de conserver le meilleur contact avec le peuple. Il fait soigner tous les malades par le docteur Sautereau, il les visite lui-même avec ses hôtes (cette habitude était beaucoup plus répandue qu’on ne le croit parmi les grands, dès avant 1789), chaque semaine il distribue 600 livres de pain. Pendant un hiver rigoureux, il nourrit 700 ouvriers sans travail. Il a fait de son parc une « promenade publique » pour les villageois des environs, et cela encore est très ancien régime. Ces contacts avec les classes modestes, qui font tomber les barrières, permettent de se mieux connaître et de se mieux aimer, sont