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Président » et s’occupait de mettre sur pied la charte de l’Autriche entrant comme État confédéré, comme Einzehtaat, dans l’unité allemande.

La mission d’Otto Bauer à Weimar réussissait peu, si même elle n’échouait pas au contact des difficultés financières, pendant qu’en sens contraire, l’estomac lirait sur le cœur au point que le cœur paraissait, provisoirement au moins, tomber dans l’estomac. Pour employer une autre image, l’Autriche cherchait, à droite et à gauche, de l’argent et des vivres ; elle mettait au Mont-de-Piété alternativement sa montre et son matelas. Les temps étaient durs. Il fallait en laisser venir de meilleurs. Le ministre d’Empire Mathias Erzberger écartait gentiment l’Autriche, sans la décourager : » L’Autriche bénéficiera du relèvement de l’Allemagne quand le Reich aura restauré sa puissance économique. Qu’elle ait confiance dans l’Allemagne... On sait en Autriche, d’après l’expérience de la guerre, qu’on peut se fier à la parole de l’Allemagne ! » (Nous ne pouvons nous empêcher de poser ici un point d’exclamation, mais nous avons tort ; avec M. Erzberger, on ne doit s’étonner de rien, et quant à lui, il est certain qu’il n’en avait pas mis.)

Le 21 mars, la Commission de la Constitution, à Weimar, adopta en première lecture et ajourna en seconde, cette motion de Naumann, l’homme de la Mittel-Europa : « L’Autriche allemande s’agrège à l’Empire allemand dans son intégralité comme étant membre de cet Empire. » Mais le 20 mars étaient arrivés à Vienne 80 000 boites de lait condensé, le wagons d’œufs de Pologne, du bétail et de la viande de Serbie. Les socialistes durent se dire que l’occasion était manquée. Le chancelier Renner couvrit la retraite en se référant à ses vieux écrits. Maintenant, « la meilleure solution serait l’union de l’Autriche à l’Allemagne, mais à l’Allemagne fédéralisée, qui ne serait plus gouvernée d’au-delà de l’Elbe, et qui pourrait opposer à l’hégémonie prussienne une forte Allemagne du Sud. » Tel était, avant le départ de M. Renner pour la France, le dernier état de son opinion. Il n’est pas à désespérer, mais il est à prendre garde, et à ne pas trop se livrer. Nous dédions cette minutieuse analyse à des interlocuteurs qui seraient un peu prompts à l’attendrissement. Contrairement à ce que dit le proverbe : ventre affamé a des oreilles ; ventre rassasié n’en a pas. Malesuada, mais, pour une fois, benesuada fames. L’heure équivoque sera celle où, l’appétit chassé, le sentiment, qui n’est jamais tout à fait mort, se ranimera. La condition, nécessaire et dirimante pour la France, de toute paix avec l’Autriche, c’est l’abandon de toute