Première légende à détruire : celle de notre imprévoyance. Durant la guerre, le service d’Alsace-Lorraine au ministère de la guerre avait confié à des personnes d’une parfaite compétence le soin de préparer toutes les mesures politiques, économiques, administratives qui s’imposeraient à la France dans ses provinces reconquises. En ce qui touche l’Université, dès 1917, un rapport très complet et très remarquable fut rédigé par M. Pfister, au nom de la commission de l’enseignement supérieur. Nous n’approuverons pas toutes les solutions préconisées alors par M. Pfister. Lui-même, une fois en Alsace, n’a-t-il pas modifié quelques-unes de ses opinions ? L’Alsace de 1919 ressemble si peu à celle de 1914 ! Partout la guerre a créé de l’imprévu, suscité des idées nouvelles, et, sur toutes les questions, nous sommes bien obligés de réviser nos jugements de la veille. Ce rapport néanmoins contient toutes les données historiques et statistiques du problème, et c’est d’après elles que les premiers organisateurs de l’Université française ont travaillé, et bien travaillé [1].
La principale difficulté provenait de la langue. Dans les gymnases allemands, le français n’était enseigné que comme une langue étrangère. L’usage, il est vrai, s’en était transmis dans les familles de la bourgeoisie, et, à la veille de la guerre, l’étude en avait été favorisée par des cours, des représentations, des lectures données dans des cercles et des écoles privées : le nombre des Alsaciens sachant le français augmentait alors de jour en jour. A partir d’août 1914, ce mouvement s’arrêta : il ne pouvait plus être question d’enseigner la langue de l’ennemi, et la parler devenait un délit durement réprimé. Les délateurs étaient aux aguets ; pour l’Allemand, la délation est une vertu civique. Un mot français, une interjection prononcée dans un tramway, dans la rue, dans une maison dont la fenêtre était restée ouverte : manifestation hostile à l’Allemagne ! Les conseils de guerre extraordinaires institués en Alsace-Lorraine prononcèrent des milliers de condamnations pour usage du français. Quant aux jeunes gens enrôlés dans l’armée allemande, ils étaient soumis à une surveillance plus rigoureuse encore : ce n’est pas de quarante-huit heures de prison qu’ils eussent payé le crime de s’exprimer en français. En 1918, ce
- ↑ Presque tous les renseignements utilisés dans cet article ont été puisés dans le rapport de M. Christian Plister.