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qui lui était proposé. Un soupçon de condescendance persistait encore sans doute dans ses gestes et dans ses paroles, mais étant notre hôte pour douze heures elle faisait de louables efforts pour descendre de ses redoutables hauteurs à notre humble niveau.

Une atmosphère de fête régnait ce jour-là dans notre petit port. Le soleil brillait sur toutes choses et c’était aussi du soleil que j’avais au cœur et une grande bienveillance envers toute l’humanité. J’étais aussi heureuse de l’honneur que le Tsar faisait à notre pays, je savais que le vieux Roi était content et qu’il comptait sur moi pour que tout allât bien. Et tout alla bien en effet. Un ordre parfait régna, et la réception que nos hôtes reçurent fut à la fois grandiose et enthousiaste ; même le ciel d’un bleu impeccable ne déversa pas sur nos têtes une trop accablante chaleur. Les cérémonies ne furent pas non plus trop longues. Constantza croulait sous les roses, et au bout de chaque rue la mer luisait d’un bleu de saphir.

Aucun incident fâcheux ne vint troubler cette journée et, quand finalement nos hôtes impériaux quittèrent le port, ils furent accompagnés par le même enthousiasme qui les avait accueillis le matin. Telle une carte sombre sur laquelle les étoiles traçaient des myriades de dessins, le ciel les contemplait d’en haut ; et sous eux, monstre redoutable, la mer respirait profondément dans son sommeil. Je restai longtemps à regarder le grand vaisseau s’éloigner. Ombre géante sur laquelle glissaient d’autres ombres, il disparut à nos regards, il disparut comme une illusion hors de cette journée, hors de ma vie.

Et c’est la dernière fois que j’ai vu le tsar Nicolas en fait. En pensée je l’ai revu bien souvent.


La grande guerre européenne éclata au mois d’août de la même année et la mobilisation russe fut l’un des miracles qui remplirent le cœur des Alliés d’espérances exaltées.

Officiellement, le Tsar était encore l’idole de son peuple. Il existe une image que j’ai vue non en nature, mais simplement sur le papier, et qui par sa beauté pleine de sens s’est imposée à mon esprit.

Le Tsar passe à cheval devant les rangs serrés d’innombrables troupes agenouillées. Aussi loin que l’œil peut voir, ce