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c’était un vieillard de soixante et onze ans, d’un patriotisme teuton irrécusable, le baron von und zu Aufsess, fondateur du musée germanique de Nuremberg qui, se sentant incommodé après cette longue journée de fête, sifflait son domestique, comme il eût sifflé son chien. Deux juristes se précipitèrent sur l’infortuné et se mirent en devoir de l’assommer : l’un était le juge von der Goltz qui, depuis, devint membre du Directoire de la Confession d’Augsbourg, l’autre le professeur Carl Binding, auteur d’une savante étude sur le droit barbare des Burgondes. Ils rossèrent si bien le baron que celui-ci rendit l’âme trois jours après, non sans avoir consigné dans son journal cette remarque mélancolique : « Cela est d’un bien fâcheux augure pour l’avenir de la nouvelle Université. »

Chargés de faire sentir à leurs frères retrouvés la supériorité de la culture germanique, les « pionniers » se mirent à l’œuvre. Les premiers savants de l’Allemagne vinrent à Strasbourg pour se consacrer à cette tâche patriotique et largement rémunérée. C’étaient, parmi les plus illustres, Heinrich Brunner, Paul Laband, Lœning pour le droit ; von Recklinghausen pour la médecine ; Grœber, Michaëlis, Nôldecke, Scherer, Studemund pour les lettres et la philosophie ; de Bary pour les sciences.

L’Université de l’Empereur-Guillaume se logea tant bien que mal dans les bâtiments naguère occupés par les Facultés françaises et dans quelques autres immeubles. La ville mit à sa disposition l’ancien palais épiscopal du XVIIIe siècle qui abrita la Faculté de philosophie, les services administratifs et la bibliothèque universitaire. Ce fut en vue de cette installation que les Allemands massacrèrent sans vergogne les délicieuses décorations dont Robert de Cotte avait orné la demeure des Rohan. Ces locaux dispersés et inconfortables répondaient mal aux visées ambitieuses des fondateurs de l’Université. Les professeurs demandaient la création d’un « quartier universitaire » où tous les enseignements et tous les services seraient concentrés. Après de longues discussions sur le choix d’un emplacement, on commença, en 1875, d’élever un vaste ensemble de constructions. La plus grande partie en était achevée, neuf années plus tard.

L’aspect monumental et l’aménagement luxueux de ces édifices excita l’admiration générale en Allemagne, en Alsace,