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compter sur sa vigilance. Si nous échouons, nous nous en apercevrons à sa joie ; si nous réussissons, à son inquiétude. Les Rhénans seront les témoins de notre œuvre les mieux placés, les plus attentifs. Tout comme leurs compatriotes de Munich, de Leipzig ou de Berlin, ils contempleront avec la plus malveillante ironie les efforts que la France va tenter en Alsace. Ils sont du reste convaincus que ces efforts avorteront, et que l’Université de Strasbourg est vouée au marasme et à la ruine, car, en bons Germains qu’ils sont, ils croient toujours à l’excellence de leur culture et à la misère physiologique des races latines. Aussi le trouble dans lequel les a jetés le sentiment de la défaite militaire, deviendrait il bien plus grave s’ils voyaient leurs adversaires remporter des victoires économiques et, comme ils disent, « culturelles. » Or de ces victoires-là, celles qui auraient l’Alsace pour théâtre, seraient les plus sensibles à leur orgueil ; peut-être risqueraient-elles fort d’ébranler la fidélité des Rhénans à l’Empire. Ne nous hâtons pas de préjuger les sentiments des populations du Rhin à l’égard de la France. Tout de même, ce qui ne serait point vrai aujourd’hui peut le devenir plus tard, et nous devons travailler à le rendre vrai. La ruine du militarisme allemand sera peu de chose, si l’on ne détruit l’armature morale de l’Allemagne, et le moyen d’en venir à bout est de faire que l’Allemagne doute d’elle-même et de sa mission. La propagande la plus ingénieuse, la diplomatie la plus habile ne serviront de rien. Le seul argument qui démoralisera l’Allemagne, ce sera notre réussite en Alsace. Que dans dix ans l’Alsace présente le spectacle d’une province heureuse et prospère, les Rhénans se sentiront moins attachés à l’Empire. Que dans dix ans l’Université de Strasbourg soit un des premiers établissements scientifiques de l’Europe, le dogme de la Culture germanique aura perdu beaucoup de ses croyants, même en Allemagne. C’est à Strasbourg que se jouera l’avenir de l’Empire...... et de la France.


ANDRE HALLAYS.