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soient rapidement conduits et les voies d’eau améliorées [1]. Cela ne suffira pas. Il faut rendre à cette ville tout l’éclat qu’elle eut dans le passé, multiplier ses écoles et ses musées, veiller à la conservation de ses monuments et de ses vieux logis, inestimables chefs-d’œuvre de l’art français ; mais il importe surtout que, par la variété de ses enseignements et le renom de ses maîtres, l’Université attire à elle des foules studieuses. De toutes les compensations que nous pouvons offrir aux Strasbourgeois, c’est celle-là qu’ils désirent le plus passionnément ; on en put juger à leur émoi quand ils crurent que nous songions à la leur marchander.

Qui ne verrait, enfin, que l’intérêt de la France se confond ici avec celui de l’Alsace ? Qui ne comprendrait qu’au sortir de cette effroyable bataille entre le germanisme et la civilisation, la France déserterait la cause à laquelle on l’a vue donner son sang et sa fortune, si elle n’entretenait à Strasbourg un ardent foyer de science française, d’art français, d’esprit français ? Mais, si nous n’avions pas trouvé ces bâtiments tout édifiés, ces laboratoires tout installés, il nous eût fallu, à n’importe quel prix, construire les uns, aménager les autres ! Ils nous sont indispensables pour organiser sur le Rhin la défense de notre science et de notre pensée. Sans doute il serait criminel, antifrançais d’imiter l’Allemagne, de retourner contre elle l’instrument qu’elle avait forgé pour étendre sa domination sur l’univers : nous ne voulons pas mettre la science au service d’appétits nationaux. Mais il serait non moins criminel de donner dans les illusions où se complurent, avant 1870, les rédacteurs de la Revue germanique, d’assigner à l’Université le rôle d’intermédiaire entre les « deux cultures : » ces « deux cultures » sont maintenant séparées par un abîme insondable, les rêveurs les plus candides ont perdu le droit de s’y tromper. Si près de la frontière, nous serons à même d’être abondamment informés des idées, des travaux, des recherches des Allemands ; nous en profiterons, mais avec le ferme propos de ne jamais accepter leurs disciplines intellectuelles. Chez nous, entre nous, nous travaillerons à la française.

Ce travail, nous allons nous y livrer sous l’œil de l’Allemagne : elle nous regardera, elle nous épiera, nous pouvons

  1. Voyez dans la Revue du 1er septembre : la Question du port de Strasbourg, par M. René La Bruyère.