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petite fortune avait passé à l’achat de sa compagnie. Compris dans une de ces réformes qui faisaient banqueroute aux officiers, il s’était trouvé sans ressources et avait dû représenter sa cruelle position au ministre de la Guerre, qui, sur la justification qu’il était gentilhomme, le mit à la suite, en lui conservant ses appointements.

Il avait plus de soixante ans, « ayant blanchi sous les drapeaux et fait, pour ainsi dire, toutes les guerres du siècle, lorsque son régiment vint en garnison à Dole en Franche-Comté. Il trouva à s’y marier avec une demoiselle Gabrielle Faivre, qui lui apporta une honnête aisance et dont il eut trois enfants, deux fils et une fille. L’aîné des fils, Claude-François, né le 28 juin 1754, fit ses études au collège de Dole et, à seize ans, en 1771, obtint d’être admis à la première compagnie des Mousquetaires, où, selon l’usage, il devait faire ses exercices et prendre l’air du militaire. Il y contracta des liaisons qui lui furent par la suite singulièrement utiles, en particulier avec les Lameth déjà si bien en cour, et il eût pu devenir comme tant d’autres un officier fidèle à son roi et dévoué à son devoir : mais intervint M. le comte de Saint-Germain, ministre de la Guerre. Ayant vécu et servi à l’étranger, ne comprenant pas ou ne voulant pas comprendre que la Maison du Roi constituait une des bases de la monarchie et de l’armée, il préconisa, sous prétexte d’économies, les idées d’égalité qui faisaient le succès de l’Encyclopédie. La Secte avait ses exigences et Saint-Germain était tout disposé à y céder.

Le licenciement de la Maison du Roi fut décidé (15 décembre 1775), et chaque mousquetaire, chevau-léger ou garde, fut, par économie, consolidé dans le grade de lieutenant, quels que fussent son âge et la durée de ses services, et continua, sans être astreint à aucune obligation militaire, à toucher le quart de ses appointements. Tel fut le cas de Claude-François. Il se retira à Dole, et « un tendre penchant, naturel à son âge, fut probablement la seule cause qu’il ne reprit pas de service. »

Il faut croire que ce fut par des qualités de sensibilité et de bonté qu’il séduisit celle qu’il devait épouser le 9 janvier 1788, Denise de Balay, fille mineure de Charles-Maximilien-Joseph de Balay et de dame Antoinette-Suzanne de Fabri. Elle résidait à Arbois, où elle retourna faire des séjours en l’absence de son mari. Celui-ci, l’année même de son mariage, vint à Paris