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pour le Roi. Lorsque le Roi nous a passés en revue, il m’a fait plusieurs questions sur le détachement, ce que j’ai vu qu’il n’a pas fait aux autres ; il a paru fort content de nous et cela m’a fait plaisir. » Le caractère ne saurait mieux se développer, et Malet apparaît déjà entiché d’un orgueil qui ne reconnaît aucune supériorité et qui l’emplit de confiance.

Comment admet-il qu’il ait à solliciter de réintégrer l’armée dans un grade modeste ? Sans doute se trouve-t-il en présence d’une situation que la Révolution n’a point améliorée. Pour obtenir une faveur que ne sauraient justifier ni son stage de mousquetaire ni son commandement dans les gardes nationales, il emploie des protecteurs, les Lameth, dont il épouse alors les évolutions politiques. Les Lameth obtiennent que, le 1er août 1791, il soit placé, comme aide de camp, près de ce démagogue qui fut le prince de Hesse-Rhinfelds et qui sera tout à l’heure Charles Hesse. Malet le rejoint à Nancy où il le trouve en pleine bataille contre son chef, le général Wietinghoff. Ces deux Allemands ne pensent pas de même, il s’en faut, sur les événements. Heureusement Malet est là : « Je ne crois pas, écrit-il, que le général Wietinghoff soit un aristocrate déguisé. Je n’attribue sa conduite qu’à la faiblesse de son âge de soixante-dix ans et au défaut d’être au courant de la Révolution ; mais cette faiblesse ne s’accorde pas avec la fougue de mon général, qui a toujours été à Paris dans les moments critiques de la Révolution et qui ne voit que conjurations contre elle. J’espère au reste que tout cela s’apaisera. Mon sang-froid l’étonné et me donne beaucoup d’ascendant sur lui ; c’est moi qui rédige les lettres importantes, et je vois qu’il me serait facile de m’emparer de son esprit et de le gouverner, ce que je ne ferai qu’autant que cela sera nécessaire à la sûreté publique ; car je t’avoue franchement que nos humeurs ne peuvent pas sympathiser et que je resterai avec lui le moins qu’il me sera possible. Je l’ai déjà fait entendre à Théodore (de Lameth) pour qu’il me trouve un autre débouché en restant toujours dans l’Etat-major de l’armée. »

Pour presser ce moment, il est venu à Paris avec son chef, et il n’hésite point, pour le quitter, à viser au plus haut et à se familiariser avec le ministre de la Guerre. « J’ai vu hier M. de Narbonne, écrit-il le 13 décembre (1791), mais je n’ai pu lui parler longtemps, parce que c’était le moment de son audience