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Horace, Virgile, Tite-Live avaient tracée de la vieille aristocratie romaine en la parant de si éclatantes couleurs. Car la grande littérature latine ne fut pas une distraction de riches seigneurs oisifs et curieux ; mais l’organe le plus noble de la puissance romaine, le véhicule élégant qui propagea à la fois la connaissance de la langue latine, le goût des belles-lettres et les doctrines morales et politiques auxquelles l’aristocratie romaine croyait, chez les nouvelles élites qui de génération en génération se formaient dans les provinces de l’Occident et en Afrique, émergeant de la confuse égalité des vaincus. Elevées par des précepteurs latins, les générations nouvelles étudièrent les grands auteurs comme des maîtres non seulement de la forme, mais de la pensée et du sentiment ; elles grandirent ayant sous les yeux le merveilleux modèle de l’antique noblesse romaine, non pas telle qu’elle avait effectivement été, mais telle que l’avait dépeinte, épurée de ses vices et de ses faiblesses, le pinceau lumineux de Tite-Live, dans le grand cadre de son histoire immortelle ; ils s’éprirent de ce modèle idéalisé par l’art : la simplicité, le dévouement civique, la bravoure à la guerre, la fidélité aux traditions civiles et religieuses ; ils se persuadèrent qu’un homme ne pouvait avoir d’ambition plus élevée que d’être accueilli dans cette aristocratie et dans le Sénat qui la représentait.

Jusqu’à Néron cependant, l’esprit exclusif de la vieille Rome resta très fort. Peu de grandes familles des provinces parvinrent à forcer les portes du Sénat. Celui-ci se composa presque uniquement de familles originaires de l’Italie centrale : aristocratie trop restreinte pour un Empire aussi grand et que rongeaient trop de vices anciens et nouveaux. Un siècle de paix n’avait pas su éteindre les discordes, les haines et les rivalités qui avaient toujours divisé ces familles ; il avait au contraire exalté encore l’orgueil et l’esprit d’exclusion, qui avaient, en tous les temps, caractérisé la vieille noblesse romaine. A ces défauts anciens s’étaient ajoutés les nouveaux : la frénésie du luxe et une sorte de scepticisme qui inclinait à se jouer même des plus dangereux exotismes. Cause principale des troubles sérieux qui agitèrent l’Empire depuis Auguste jusqu’à Néron, cette aristocratie trop restreinte et vieillie l’eût peut-être conduit à sa perte si, dans les provinces, une nouvelle aristocratie ne se fût formée, qui, greffée sur le