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réveillée au fond des steppes, s’avance vers les frontières de la civilisation occidentale, il sera utile et sage de s’efforcer de comprendre comment la prospérité de l’Empire pendant le premier siècle fut en partie due à une institution qui semble à beaucoup d’historiens modernes inutile, parce que sa fonction était plus formelle que substantielle.


II

Bien que la plupart des historiens, suivant l’exemple de Mommsen, s’obstinent à immoler le Sénat, victime expiatoire, sur la tombe de César, il n’est point douteux que le Sénat non seulement continua à vivre et à gouverner l’Empire, après que César fut éteint, mais dans la seconde moitié du Ier siècle, fit comme un arbre vieilli, qui après une greffe porte de nouveaux fruits. Il se renouvela ; il acquit un prestige nouveau, il gouverna l’Empire avec une énergie et une sagesse qui peuvent soutenir la comparaison avec les plus belles époques de la République. Pour quelles raisons ? Quelle fut la greffe miraculeuse qui produisit cette transformation du tronc vieilli ? Essayons de l’expliquer brièvement.

Pendant le premier siècle de l’Empire, qui fut une ère de prospérité et de paix, beaucoup de familles indigènes de l’Italie du Nord, de la Gaule, de l’Espagne, de l’Afrique septentrionale s’enrichissent et constituent partout de nouvelles aristocraties locales.

Comme il est naturel, la richesse donne à ces familles le désir de briller et de prédominer ; elles cherchent donc dans la paix qui les environne, un modèle à imiter pour se dégrossir, se rendre dignes de l’admiration populaire et devenir une véritable aristocratie douée d’une supériorité intellectuelle et morale sur la masse de la population pauvre ou de moyenne fortune. A l’exception de quelques rares familles qui cherchent ce modèle parmi les cendres encore chaudes des traditions nationales et des époques de l’indépendance, la plupart le trouvent à Rome et dans la noblesse romaine ; et non pas tant dans la noblesse divisée, prodigue, fastueuse, peu active, indocile et faible à la fois, de l’époque des Jules-CIaudiens que dans l’image solennelle et vénérable que Cicéron, Salluste,