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sorti d’une guerre civile, et animé d’un esprit hostile à l’Empire romain ; si loin d’ailleurs et si différent ! L’Empire romain se trouva donc abandonné à lui-même et obligé de résoudre ce terrible problème, qui consiste à trouver un principe nouveau d’autorité et de légitimité par ses seules forces. D’où la formidable explosion de violence qui détruisit peu à peu la plus grande et la meilleure partie de la civilisation antique


V

Il n’est point douteux que la civilisation gréco-latine, intacte et florissante en apparence au commencement du troisième siècle, était sourdement travaillée depuis longtemps par un travail de décomposition intérieure. Elle reposait sur le polythéisme et sur un esprit de tradition locale, que nous sommes à chaque instant tentés de confondre avec l’esprit national de notre civilisation, bien qu’il en diffère à beaucoup de points de vue. Or, le cosmopolitisme de l’Empire, le mélange des races, des religions, des mœurs, des cultures, l’unification du gouvernement, le développement du commerce et de l’industrie, les nouvelles doctrines religieuses et philosophiques que le cosmopolitisme favorisait, avaient frappé à mort en même temps le polythéisme et l’esprit de tradition locale. La prospérité elle-même, cette facilité relative pour les familles obscures de s’enrichir, de s’instruire, et de monter aux classes supérieures, par la richesse, par l’instruction, par la richesse et par l’instruction en même temps, avait été une cause d’affaiblissement cachée, mais profonde. La civilisation gréco-latine était aristocratique à un degré que nous avons parfois peine à comprendre ; sa force était dans les élites très restreintes, mais très capables qu’elle savait produire ; ce qu’elle gagnait en diffusion, elle devait le perdre en profondeur. L’humanisme égalitaire qui se développa pendant l’Empire sous des formes si différentes, dans la religion, dans la politique, dans les mœurs ne pouvait que l’affaiblir.

Mais toutes ces causes cachées ou profondes n’auraient jamais pu produire une catastrophe si violente et si générale, si un formidable accident politique n’était survenu pour précipiter la crise et la rendre sans remède. Cet accident politique