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fut la destruction de l’autorité du Sénat, effectuée par la révolution de Septime Sévère. Cette destruction suffit pour que l’Empire tout entier restât sans un principe de légitimité, d’après lequel reconnaître l’empereur qui avait le droit de commander ; l’absence de ce principe de légitimité déchaîna une suite de révolutions et de guerres qui en cinquante ans anéantirent presqu’entièrement le travail de tant de siècles.

La ruine de la civilisation antique est donc l’effet d’une décadence lente due à des causes intérieures et d’un terrible accident qui, détruisant par un coup violent la clé de voûte de tout l’ordre légal, jette cette civilisation, déjà affaiblie par sa masse et par sa décadence intérieure, dans les convulsions du despotisme révolutionnaire. Cette terrible expérience mérite d’être méditée par notre époque, dont la crise rappelle par beaucoup de côtés celle du troisième siècle. Depuis un demi-siècle, la civilisation occidentale était affaiblie par la confusion croissante des doctrines, des mœurs, des classes, des races et des peuples ; par une espèce d’anarchie intellectuelle et morale qui avait gagné plus ou moins tous les milieux ; par l’effort épuisant du travail continuel, rapide et sans repos ; par la mobilité, devenue générale, de tous les éléments de la vie sociale ; par une sorte de fièvre universelle qui surexcitait les volontés et les intelligences, en les rendant capables d’efforts très intenses mais courts et peu profonds ; par la vulgarisation de toutes les activités de l’esprit et de tous les biens de la terre. Sur cet affaiblissement intérieur un terrible accident est survenu, le plus terrible peut-être de toute l’histoire...


La guerre mondiale aussi peut rappeler, mais en grand, quant à ses effets, la révolution de Septime Sévère, parce qu’elle a ou détruit ou affaibli tous les principes d’autorité et de légitimité qui soutenaient dans la civilisation l’ordre social. Ces principes étaient de deux sortes : le droit divin des dynasties dans les puissantes monarchies de l’Europe centrale et septentrionale ; la volonté du peuple, dans les démocraties de l’Europe occidentale. Avec la chute de l’empire russe, de l’empire austro-hongrois et de l’empire allemand, le droit divin a reçu un coup mortel dont il lui sera bien difficile de se relever. Mais il est bien douteux que le principe opposé profite de sa ruine. Peu clair en lui-même et d’une application très difficile, il