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barrière ; et l’on étend une couche de terre entre cette barrière et les tribunes. Des chevaux sont amenés. Après une course d’essai, on en garde dix. Le comité du Palio réunit alors les capitaines des contrades et tire au sort celles qui seront admises à concourir. La foule attend anxieusement sur les marches du Palais. J’étais à côté d’un jeune homme du Bélier. Il se crispa et pâlit à l’annonce que sa contrade était écartée : « Capitaine, s’écria-t-il, est-ce que la Louve en est ? » Le capitaine fit signe que non. La figure du jeune homme reprit ses couleurs, et il poussa un profond soupir de satisfaction.

C’est le sort qui décide aussi de l’attribution des chevaux. Chaque contrade élue emmène le sien. A partir de ce moment, il n’y a pas au monde de pur sang plus choyé, plus bourré d’avoine, plus honoré, ni plus surveillé. Il l’est autant que son jockey, le fantino, qui ne peut faire un pas ni dormir sans avoir deux plantons à ses côtés. Le fantino n’est jamais sûr : on craint qu’il ne se vende aux contrades ennemies. Les épreuves de la course durent trois jours, pendant lesquels l’excitation grandit d’heure en heure. Les passions déchainées sur la place de la Seigneurie se répandent par toute la ville. On entend dans la rue des échanges d’invectives dont le pittoresque dépasse celui des plus beaux jurons italiens. Une fille de l’Onda criait à un garçon planté devant elle : « J’aimerais mieux me jeter dans la Fontebranda que d’écouter un « porco de la Torre » comme toi ! — Et moi, répliquait le garçon, j’aimerais mieux... » Mais je ne peux pas vous dire ce qu’il eût mieux aimé. La condamnation au célibat la plus cruelle lui paraissait préférable à l’hypothèse monstrueuse d’une union avec une fille aussi corrompue que les filles de l’Onda. Le Limaçon est réputé pour son caractère déplorable, qui le porte aux sacrilèges. On prétend que ces dernières années, furieux de n’avoir point gagné, il a jeté deux fois dans un puits la statue de saint Antoine, patron des bêtes, de saint Antoine, « ce lis du Paradis. » On vous annonce gravement que la Tortue a défié la Panthère, que la Chouette a voué une haine inexpiable au Porc-épic, que l’Oie menace la Licorne. C’est l’arche de Noé en insurrection.

Le grand jour arrive. La bannière, prix de la course, est depuis la veille à la cathédrale ; et il ne reste qu’à bénir les chevaux. La bénédiction du cheval de l’Occa (l’Oie) se fait dans la maison de sainte Catherine transformée en chapelle. Le