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Je m’amusais à suivre des yeux un homme très important qui donnait des ordres, rallumait des cierges, époussetait les dorures et s’arrêtait pour se frotter joyeusement les mains. « Est-ce le sacristain de l’église ? » demandai-je au prêtre qui m’avait invité. Il se mit à rire : « Lui ? dit-il. C’est un socialiste, un anticlérical militant. Il voudrait que le gouvernement rasât toutes les églises, sauf, bien entendu, San Sebastiano. Sachez, mon cher monsieur, que, lorsque je fais le catéchisme dans l’église d’à côté, je n’ai pas dix enfants du quartier ; mais, quand je le fais ici, tous les libres penseurs de la contrade m’envoient leurs fils. Le Christ de San Sebastiano est mort spécialement pour les gens de la Selva, et leur Madone n’est pas la même que celle de la Tour ou de la Girafe. »

De contrade à contrade l’inimitié est de règle. Il y a quelquefois des alliances ; un écusson représentera la Tour et la Licorne avec, au-dessous, deux mains qui se joignent. Mais d’ordinaire les contrades se jalousent et se combattent. Naguère encore on ne s’épousait pas entre gens de différentes contrades. Étonnante persistance de ce goût des luttes intestines qui travaille les Siennois, mais qu’ils ont fini par rendre inoffensif et dont ils se font même une forme de patriotisme municipal. Ils sont d’autant plus Siennois qu’ils s’acharnent à triompher les uns des autres. Ce sont des fils qui ont besoin de se battre pour mieux sentir combien ils aiment leur mère.

On peut en juger au Palio du 16 août. Le Palio est une course ainsi nommée du prix que recevait le vainqueur : un drap de brocart. Jadis elle se courait d’un point à un autre de la ville : mais, depuis longtemps déjà, elle a lieu sur la Piazza del Campo. Ce divertissement religieux et guerrier solennisait d’abord le souvenir d’une victoire ou d’un événement heureux pour la République. Comme les Siennois adorent tout ce qui est cavalcade et procession, ils multiplièrent les occasions de le célébrer. Il y avait Palio à l’entrée du nouveau Podestat, Palio au passage d’un Empereur ou même d’un personnage de moindre conséquence. Les quinze cents Palio que Sienne a vus depuis quatre siècles n’ont point fatigué son enthousiasme. Mais le grand Palio reste celui de la mi-août.

Dès que les préparatifs commencent, la température de la ville monte. On dresse les tribunes devant le palais municipal et autour de la place, dont la partie creuse est enclose d’une