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générosité de la pensée et la dignité du ton que l’Église sait mettre dans ses oraisons les plus humbles. Avec un art, qui lui vient de la charité dont elle embrasse toute la création, elle reporte sa sollicitude du maître à l’animal, et, comme ils sont associés dans le péril, elle les associe dans sa prière. Mais elle a eu soin de rappeler la distance entre eux ; et ces mots : Tu as fais l’homme à ton image, avertiraient, au besoin, les bouddhistes que sa bienveillance est très éloignée de leur sentiment. Si le cheval est vainqueur, on le mènera remercier Dieu. Le lendemain, on le conduira par la ville, les sabots dorés ; et dans un mois la contrade donne son banquet où on lui servira, à la place d’honneur, avant tous les convives, une miche de pain et un bol de vin.

Cependant, les vingt mille personnes, que la place peut contenir, y sont déjà rassemblées. La grande conque est pleine. Des ombres se pressent entre les créneaux du Palais municipal et sur la tour du palais Sansedoni. Les gendarmes à cheval refoulent doucement les retardataires qui envahissent la piste. Tout à coup éclate la marche entraînante du Palio. Le défilé commence. Il durera plus d’une heure. L’étendard de Sienne, noir et blanc, que les buccinateurs semblent entier au souffle de leurs longues trompettes droites, est suivi par les drapeaux des communes amies, des vieilles communes, dont quelques-unes même n’existent plus. Mais le Palio ressuscite leur nom, leurs couleurs, un peu de leur gloire. Puis toutes les contrades passent dans les beaux costumes d’autrefois. Les porteurs de bannières les font tourner dans l’air, les lancent, les rattrapent et rasent le sol de leurs plis somptueux. C’est une représentation qu’ils donnent pendant que les tambours battent aux champs et que les hommes d’armes s’arrêtent. Le cheval de course est conduit à la main par son barbaresco ; et le fantino, recouvert d’une armure, ferme la marche sur un autre cheval superbement caparaçonné. Enfin s’avance, entouré de cavaliers au casque doré et à la visière baissée, le lourd Carroccio, l’ancien chariot de guerre où, pendant la bataille, l’évêque dressait un autel et officiait pour les troupes engagées. On l’a refait souvent, toujours le même, en chêne et massif. Il porte la louve romaine et, suspendue à une antenne, l’image de Sienne couronnée de tours. Sur sa caisse est écrit le mot Libertas qui a tant de fois retenti à travers la cité et qui, en 1552,