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les juges qu’ils eussent à quitter leur salle. Il fallait qu’elle fût vide avant le dernier son. Le moindre retard se payait de vingt sous d’amende.

La même cloche qui envoyait les gens à table les renvoyait au travail ou à leurs plaisirs. La fresque d’Ambrogio Lorenzetti sur les Effets du bon gouvernement nous montre des joueurs attablés sous les porches des maisons, de jolies filles qui frappent du tambourin et qui font des rondes dans les carrefours, une jeunesse dorée qui part pour la chasse. La vie de Sienne était plus haute en couleur que cette peinture allégorique. Les frocs des moines, les robes et les coiffures des hommes, les étoffes criardes des campagnardes, les tuniques vertes des juifs, les tissus à ramages des courtisanes et des jongleurs, formaient un tel bariolage qu’on nous dit que, du haut des tours, les rues et les places étaient pareilles à des mosaïques. Les femmes, dont le luxe grandissait en dépit des lois somptuaires, passaient drapées comme la Madone et richement gantées, tenant d’une main leur manteau fermé sur leur gorge et de l’autre soulevant leur traîne.

Puis la cloche annonçait l’heure crépusculaire des vêpres, qui se célébraient alors à la tombée du soir. Les ateliers et les boutiques se fermaient à son premier coup. Une heure plus tard, elle commandait d’allumer dans les rues de petites lampes devant les images pieuses ; et ceux qui sortaient se munissaient d’un cierge dont le poids était fixé. Les riches se faisaient escorter de quatre ou cinq domestiques qui portaient des lumières. Mais toute la nuit, des lampes brûlaient aux frais de la commune devant le Carroccio, symbole de l’union populaire. Enfin, la cloche sonnait une dernière fois, et toute la ville devait être déserte. On n’y entendait plus que les cris des veilleurs, et, par les fenêtres des palais, dans les cours intérieures, dans les jardins bien clos, les notes des mandolines et des guitares et le bruit sec du trictrac et du jeu de dés nommé la zara.

Entre temps, il y avait eu d’autres sons de cloches, de tristes sons comme ceux qui chassaient les lépreux hors de la cité vers la maison de San Lazzaro, près de la Porte Romaine. A six heures du soir, un sonneur agitait une cloche plus joyeuse au marché de la poissonnerie. Aussitôt, des agents saisissaient les paniers de poissons et les renversaient par terre. Les pauvres qui guettaient le moment sautaient sur ce butin. C’était ainsi