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que l’on prohibait la vente du poisson de la veille et que les Siennois, très gourmets, s’assuraient de manger toujours fraîches les carpes et les anguilles du lac de Trasimène. La nuit, il arrivait assez souvent qu’on était réveillé par les lugubres volées de cloches qui hurlaient l’incendie. Les constructions de bois étaient encore nombreuses dans les quartiers populaires Entrepreneurs, charpentiers, maçons, cochers, porteurs d’eau, avaient prêté serment d’accourir au tocsin. Mais un décret dut interdire aux habitants des quartiers voisins de se mêler aux sauveteurs, car les incendies provoquaient souvent de grands tumultes et favorisaient le pillage. Les haines de familles s’y rallumaient ; les discordes civiles y ramassaient des brandons.

Cette forte discipline, qui comprimait l’individu, devait forcément rendre plus violentes les expressions d’individualisme. Mais elle n’était point inhumaine. Dure pour les étrangers, souvent barbare dans le spectacle des répressions, elle réservait aux citoyens toutes les joies de la communauté. On ne raisonnait pas autant que de nos jours sur la solidarité, mais on la sentait davantage, parce qu’elle tirait son principe de 1a charité chrétienne. Sienne possède un des plus anciens Hôtels Dieu de l’Europe, son hôpital Della Scala, fondé en 832 par un pauvre cordonnier. Son nom lui vint de trois marches en marbre que découvrirent les fondations et qu’on attribue au temple de Diane, la froide déesse. Une confrérie, la Discipline de la Vierge Marie, avait son siège dans la chapelle et les chambres de la crypte, et se consacrait au soulagement des misères. On recueillait les orphelins ; on élevait et on mariait les petites filles trouvées. Cet hôpital de la place du Dôme est bien impressionnant avec son immense salle, l’ancien dortoir des pèlerins, toute la lumière qui afflue par sa large baie, son Christ si terreux, si usé qu’on s’étonne qu’un jet de sang aussi dru puisse jaillir de son maigre flanc, et les fresques qui décorent splendidement les voûtes. Ces fresques, j’ai de la peine à les voir ; les malades les voient mieux, étendus dans leurs lits blancs petits et transitoires sous cette haute et durable magnificence. Ils y voient se dérouler l’histoire de l’hôpital et planer au-dessus de leurs souffrances les images des hommes charitables qui, du fond des âges, pensaient à eux et les aimaient en Jésus-Christ.