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Langton Douglas les gourmande de ne pas avoir plutôt payé de bons ingénieurs, qui leur auraient construit un solide aqueduc à la romaine. Langton Douglas a raison. Mais ils ne sont pas morts de soif, et un solide aqueduc ne leur aurait pas procuré le quart des jouissances qu’ils durent à la Naïade dont les yeux limpides les attiraient dans l’ombre.

Ce peuple sans mysticisme a eu de grands mystiques ; sans grands poètes, une abondante poésie ; et il l’a vécue. La richesse d’images d’une sainte Catherine est une richesse de terroir. Il possède le sens de la beauté plastique et du pittoresque. Les épisodes de sa légende dorée semblent des visions de poète traduites par un peintre. Tel, le miracle de la lampe, dans l’histoire populaire du bienheureux Colombini [1].

Colombini, le fondateur des Jésuates, était un noble et riche marchand de Sienne, qui tomba un jour amoureux de la pauvreté et qui lui déverrouilla sa porte. Il l’embrassa fortement et avec elle toutes les humiliations des serviteurs du Christ. Sa cousine, Catherine Colombini, demeurait dans le palais voisin. Elle y vivait seule, ayant perdu ses parents. Elle aimait les plaisirs, la toilette et, plus que tout, sa liberté. Une fenêtre avait été percée dans le mur mitoyen des deux maisons. Un soir, Colombini appela sa cousine au moment où elle montait se coucher. Elle apparut dans cet encadrement gothique, éclatante de luxe et de beauté. Sur sa robe de soie rouge aux manches bouffantes, un collier d’ambre soutenait une croix émaillée de vives couleurs ; et sous son bandeau semé de perles fines, ses cheveux, humides du parfum qui en dorait les ondes, baignaient ses épaules. Elle tenait à la main la lampe siennoise, celle des Catacombes. Le saint s’excusa courtoisement de l’avoir interrompue dans ses oraisons du soir. Mais la jeune fille sourit et lui répondit qu’elle songeait à dormir et non point à prier. Alors il lui parla de l’amour du Christ, de la joie qui surabonde au cœur de ses épouses et des moindres faveurs divines qui passent toutes les voluptés de la terre. La jeune fille l’écoutait en silence, les yeux attentifs, les lèvres mi-closes ; et rien ne bougeait sur ses traits que les reflets de la lampe. « Et maintenant, lui dit Colombini, va dormir en paix, ma chère sœur. » Elle leva la tête, surprise que l’entretien fût déjà fini, et elle vit poindre

  1. La Bienheureuse Colombini, par la comtesse de Rambuteau (Ed. Lecoffre.