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à de plus chers plaisirs. Saint Bernardin, qui soulevait Pérouse, le laissait beaucoup plus calme. Oh ! les jours où il prêchait, les églises étaient trop petites ! On lui dressait une chaire sur la place de la Seigneurie, et son sermon y attirait alors presque autant de monde qu’aujourd’hui la fête du Palio. Les magistrats faisaient peindre au mur du Palais le trigramme de Jésus dans un cercle d’azur et de rayons d’or. On décrétait même des réformes. Mais dès que le Saint avait le dos tourné, adieu les Riformagioni di frate Bernardino ! Quand il revenait, il était souvent fort mal accueilli. On lui a jeté des pierres. Sainte Catherine n’a jamais autant agi sur ses concitoyens, elle ne les a jamais si bien « encatherinés, » selon le mot dont on persiflait ses fidèles, que le jour où l’on rapporta sa tête de Rome : il faut dire que ce fut une fameuse procession ! »

Que ne donneraient, en effet, les Siennois pour un beau cortège, eux qui en ont tant vus passer ! Pendant le siège, que leur endurance a immortalisé, quand la famine et des bruits de trahison commençaient à leur brouiller la cervelle, Montluc enjoignit une procession générale, où défilèrent tous les capitaines, seigneurs et dames de la ville. « Ainsi, dit-il, je les faisais amuser pour retenir leur fureur. » Il nous raconte aussi que les dames dont il admirait l’héroïsme, travaillèrent de leurs mains à fortifier la ville. Et je vous assure que de les voir monter aux tranchées était un spectacle qui valait une procession ! Elles étaient environ trois mille, réparties en trois équipes : la première vêtue de violet, la seconde de satin incarnadin, la troisième de blanc. Leurs jupes, aussi courtes que celles d’aujourd’hui, montraient le brodequin. « Un accoutrement de nymphe ! » dit le fier Gascon en souriant dans sa moustache. Elles portaient des pics, des pelles, des hottes et des fascines. La foule ébahie en oubliait ses misères.

Aucun peuple italien n’a été doué d’une fantaisie aussi brillante et ne s’est créé à lui-même de plus vifs enchantements. Il a cru, durant des siècles, qu’une rivière merveilleusement pure courait sous sa ville. Elle se nommait la Diana. Il était altéré de son eau mystérieuse. Il la buvait en rêve. Pour la trouver, rien ne lui a coûté, ni l’argent, ni la peine. Qui sait ? Il croit peut-être encore à cette sorcière. Dante l’en raillait ; mais Dante est Florentin, et les Florentins vous diront aujourd’hui, comme il y a six cents ans, que les Siennois sont fous.