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maîtres : il lui a marqué la patience, le souci de la perfection. « L’élève le plus vide que le Vinci ait essayé de remplir ! » s’écriera un de ses détracteurs. Un artiste me disait : « Le Sodoma, oui, un peintre pour hommes de lettres ! » Il y a peut-être quelque chose de vrai dans ce jugement sommaire en ce sens que les connaisseurs seront plus sensibles à ses défauts : la mollesse et le bâclage ; les autres, à tout ce que ses créations trahissent de pensée inquiète et de mélancolie. La mélancolie, je l’ai vainement cherchée dans cette dure ville de pierre et d’ombre au milieu des vignes ensoleillées. J’y ai trouvé de rudes passions et surtout du plaisir. Sienne a toujours été gaie. Sa gaité ne l’a pas désertée aux jours les plus tragiques de son histoire. Ses saints eux-mêmes ont été souvent gais ! Mais voici, sur les pas de la volupté, la mélancolie qui entre chez elle, amenée par cet étranger, à. l’heure où sa liberté agonise.

Ma dernière impression de Sienne, le dernier tableau que j’ai voulu revoir, après la Salomé des Servi, c’est au Musée municipal sa Judith. On ne la cite point parmi ses œuvres célèbres. Un poète « à qui l’homme survit » a essayé de rendre l’étrangeté de cette figure et ce qui lui a paru qu’elle voulait dire. On me pardonnera peut-être de recopier ces vers :


Ce n’est point la Judith qui réveille Israël
Dans la ville assiégée et dans la nuit obscure,
Et dont mille flambeaux levés sur sa figure
Font luire les bijoux et le regard cruel.

Elle ne marche point devant une servante
Qui porte dans un sac la tête de l’Impur,
Fière d’avoir laissé sous les tentes d’Assur
L’odeur de ses parfums mêlée à l’épouvante.

Elle est seule : le ciel bleuit sur la cité
Dont l’horizon toscan profile les tourelles.
Le vaste paysage avec ses arbres gréles
Est fin comme ses traits et comme sa beauté.

Elle se tient debout, les pieds nus et très lasse,
Des gouttes de sueur et des perles au cou ;
Et pâle elle s’incline en ployant le genou
Sous la robe opulente et trop lourde à sa grâce.