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ou d’un mage. Délicieuse ici de grâce ondoyante, la mélodie de M. Fauré peut être ailleurs admirable de droiture et de force. Alors elle se livre tout de suite et tout entière, sans réserve comme sans retard. Alors son lyrisme tantôt se renferme et se concentre en des formes brèves, en des raccourcis sonores (le Secret, les Présents), tantôt au contraire s’épanche et se déploie. Ce dernier cas est celui de larges, de magnifiques effusions telles que les Berceaux, les deux Automne, Au Cimetière, Après un rêve.


Le long du quai, les grands vaisseaux
Que la houle incline en silence,
Ne prennent pas garde aux berceaux
Que la main des femmes balance.


Ainsi que naguère à la poésie de Lamartine la musique de Gounod, quelle envergure la musique de M. Fauré donne aux strophes de Sully Prudhomme ! Comme elle en amplifie les oscillations ! Mais surtout comme elle en avive le sentiment et l’émotion ! Comme le chant, ou les chants, car ils sont plus d’un, qui se répondent, pénètrent en nous ! Comme les notes de la basse, une par une, descendent au fond de nous, comme leurs coups réguliers y retentissent, tandis que, s’élevant, les notes de la voix gémissent et, quelques-unes du moins, les plus hautes, sont près de crier. Un cri véritable, atroce, éclate au milieu de la mélodie qui s’appelle Au Cimetière, (poésie de M. Jean Richepin). Dans l’œuvre de M. Fauré, je sais une autre page funèbre, mais celle-là sereine et consolatrice : le Pie Jesu du Requiem. Lisez, chantez-les toutes deux et vous admirerez, vous aimerez cet art, cette âme de musicien, sensible, devant la vie et devant la mort, à tous les modes, et toutes les nuances de la tristesse humaine, depuis la mélancolie jusqu’au désespoir.

C’est la tristesse encore, une tristesse infiniment pure, sereine et profonde, sans violence et sans trouble, presque sans mouvement, que respire l’admirable câi/iso/ie intitulée : Après un rêve. Nous disons bien : canzone, car elle fut, paraît-il, à la suite d’une gageure ou d’un concours, et sous les auspices de Pauline Viardot, imitée par M. Fauré, très jeune alors, des vieux chefs-d’œuvre d’Italie. Elle nous parait, tout simplement, leur égale et leur sœur. Pour le fond et pour la forme, pour la pensée, ou la passion, intense et contenue, et pour le style, je