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quel appui solide y trouvent ses jugements. Toutes les lycéennes ne ressemblent pas à celle-là. Mais il suffit que celle-là existe, et à beaucoup d’exemplaires, pour que soit justifiée la création des établissements, et justifiés les programmes qui l’ont formée.

On était plus inquiet encore au sujet des maîtresses que des élèves. Les maîtresses ont rassuré toutes les inquiétudes par la dignité et la simplicité de leur vie ; je dirai même qu’elles forcèrent le respect qu’on leur marchandait d’abord : j’en appelle à ceux dont les souvenirs datent de trente années. Quelques-uns crurent même avoir découvert la vocation pédagogique de la femme et sa conscience professionnelle. L’Ecole de Sèvres, qui fut la rue d’Ulm des femmes, et où les maîtres les plus éminents de l’Université enseignèrent tour à tour, vit sa réputation grandir, à mesure que s’additionnaient les unes aux autres les générations sorties d’elle. Si elle ne compta pas les grands écrivains et les politiques qui illustrèrent sa rivale, elle avait réussi dans la tâche où les sceptiques l’attendaient : elle avait donné à nos lycées des directrices et des professeurs très fortes dans leur partie sans doute, mais qui sont avant tout des femmes de sens, de goût et de devoir. Dès les débuts de l’institution, on croyait lui faire crédit en juxtaposant, pour faire naître dans l’esprit une comparaison flatteuse, les noms de Sèvres et de Saint-Cyr. Quelle mission plus difficile cependant fut celle de Sèvres, qui est une école normale, c’est-à-dire dont les élèves sont elles-mêmes de futures maîtresses ! Sèvres, sans qu’une doctrine sur l’éducation y soit née, fera bonne figure dans l’histoire de l’éducation féminine. Car ce fut l’asile aimé de vies intellectuelles intenses et d’ardentes bonnes volontés.

Pendant trente ans, on se congratula ainsi sur l’œuvre réalisée ; on fit même un livre de ces hommages officiels. Le jubilé de l’École de Sèvres, qui était comme le symbole de cette œuvre, fut fêté en 1907, sans qu’une ombre apparût au tableau enchanteur qui fut fait des résultats de la loi de 1880. Les jubilés sont parfois d’imprudents défis à la mauvaise fortune. On était à la veille d’une crise.


RAYMOND THAMIN.