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grâce aux vieilles traditions qui faisaient de l’Eglise cathédrale le fief des Chapitres. Force était au pauvre Bédacier de signer, par devant notaires, un acte par lequel il protestait n’avoir jamais prétendu sur les chanoines, non seulement aucune juridiction, mais même aucune supériorité spirituelle ; il avouait que, quand à l’église, descendant de l’autel, il bénissait de sa main droite les fidèles agenouillés, cette bénédiction n’était que pour le peuple et non pour les chanoines, pas même pour le prédicateur agenouillé dans la chaire, si ce prédicateur était chanoine ; il confessait enfin qu’il ne pouvait officier, même aux grandes fêtes, que quand les chanoines l’y inviteraient expressément.

Naturellement, de l’inviter, ils se gardèrent. Et de Pâques à l’automne 1658, soit à une procession solennelle prescrite « pour obtenir de Dieu la cessation des intempéries de l’air, » soit aux prières de Quarante heures, ordonnées pour la guérison du jeune Roi malade à Calais, soit au Te Deum chanté partout (et où les religionnaires furent conviés), pour célébrer le rétablissement du jeune prince, — à toutes ces cérémonies solennelles, en cette ville épiscopale de Metz, il ne manqua que l’évêque, non invité !

Alors, le 18 septembre 1658, au deuxième Te Deum qui allait se passer sans lui, Bédacier, lassé d’humiliations, survient à l’improviste, crosse en main, mitre en tête. Ce fut une bataille, — une bataille que plus tard, peut-être, Bossuet eut l’occasion de raconter à « Monsieur Despréaux. » Coursan et ses amis à la rencontre du suffragant bondirent, faillirent, « pour l’écarter du trône où il s’allait placer, » le renverser à terre. On vit voler en l’air les coussins de velours que les gens de l’évêque apportaient pour lui ; on entendit dans la nef s’échanger les injures réservées d’ordinaire aux hérétiques ; des aubes furent déchirées, et le lieutenant du Roi, M. de La Contour, dut intervenir pour que les chanoines n’expulsassent point « le coquin » mitre indûment.

Que Bossuet ait été chagriné ou irrité de ces tristes ou grotesques querelles auxquelles sa dignité d’archidiacre le mêlait forcément, il est d’autant mieux permis de le supposer que ses sermons d’alors l’indiquent ; — vous y noterez des appels répétés, graves et tristes, à la « charité fraternelle, » à l’oubli des griefs entre concitoyens, à l’union des cœurs catholiques en face des communs ennemis... De son mieux, sans doute, et avec une diplomatie que même son biographe Floquet trouve en