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REVUE LITTÉRAIRE

UNE IMPOSTURE DE LA SCIENCE ALLEMANDE [1].

En 1298, un sculpteur, dont le nom s’est perdu et qui ornait la cathédrale de Strasbourg, acheva une frise où l’on voyait la « procession Renard, » où l’on voyait la messe des morts célébrée par l’âne, le bœuf et le cerf. Le mort était ce grand farceur de Renard, qui faisait le mort et, un œil clos, mais l’autre ouvert, guettait le joli moment de sauter hors de son brancard. L’ours tendait le goupillon ; le loup portait la croix ; le lièvre tenait un cierge allumé ; la truie et le bouc étaient chargés du brancard ; la chienne avait une posture inquiétante. L’âne chantait : le chat, servant de lutrin, lui présentait le livre de sainte musique où le chanteur appuyait deux sabots. Le cerf était à l’autel et, auprès du calice nu, lisait l’office.

Cette étrange scène, et plus étrange à l’église, est bien exactement l’illustration de l’un de nos romans de Renard, de l’un des mieux contés, et des plus libres et obscènes par endroits.

Plus tard, et après la Réforme, on détruisit à la cathédrale de Strasbourg la procession Renard. Mais, pendant des siècles, elle n’avait scandalisé personne. Les prédicateurs du moyen âge empruntaient aux romans de Renard quelques-uns des « exemples » qu’ils aimaient à développer dans leurs sermons. Or, si nous lisons aujourd’hui ces romans, il nous semble que les prêtres et les moines, les cérémonies de la religion, les préceptes de la morale y sont pour le moins tournés à la plaisanterie. Sans doute n’avons-nous pas raison. Peut-être aussi avons-nous tort d’entendre mal cette plaisanterie. L’une des plus anciennes images de Renard et de son cortège funèbre,

  1. Le Roman de Renard, par Lucien Foulet (librairie Champion).