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dame ; elle sacrifia son bisaïeul, le maréchal de Saxe, et son trisaïeul le roi de Pologne à « sa mère la comparse et à son grand-père le marchand d’oiseaux. » Elle réclamait l’honneur d’ « être peuple ; » et, n’estimant désormais que la « littérature prolétaire, » elle se vanta de son « sang plébéien. » Elle attendit toute poésie du « feu sacré qui couve dans le peuple depuis six mille ans, » disait-elle : car elle avait une manière exubérante de compter.

Au Peuple poète on promit l’avenir ; en tout cas, on lui donna le passé. L’on décida qu’il était l’auteur d’une immense épopée chevaleresque, hélas ! perdue, et dont les œuvres de Turold et autres petits rédacteurs ne sont que le dernier reflet ; l’auteur aussi d’une immense épopée animale, perdue, hélas ! et dont les romans de Renard n’ont sauvé qu’un certain nombre d’épisodes. Encore ne les ont-ils que mal sauvés, Pierre de Saint-Cloud, Richard de Lion et autres rimeurs de cabinet n’étant guère capables d’incarner le génie formidable du Peuple : un air de flûte ne rend pas le vacarme des ouragans, les murmures de la forêt, le concert illimité de la nature.

Comme c’étaient pourtant des savants qui formulaient avec entrain cette hypothèse, il fallut au moins présenter quelques arguments et trouver quelques preuves un peu nettes de cette activité poétique attribuée au Peuple. On organisa une science qui eut pour objet de recueillir les témoignages : et ce fut le folklore.

Les folkloristes vont par les villages, interrogeant les paysans, finissent par découvrir un bon vieux ou une bonne vieille qui leur raconte des histoires ; ils notent soigneusement ces récits, les font imprimer : et voilà de la littérature populaire. M. Foulet, dans son essai sur le Roman de Renard, étudie les Contes populaires de Lorraine publiés par M. Cosquin, « l’une des collections françaises les plus connues et qui méritent le plus de l’être. » M. Cosquin ne s’est adressé qu’à un seul village : « Ces cent contes et les variantes, dit-il, ils ont été recueillis par mes sœurs et moi à Montiers-sur-Saulx, village de Lorraine, — ou, si l’on veut plus de précision, du Barrois, — situé à quelques centaines de pas de l’ancienne frontière de Champagne. Nous devons la plus grande partie de notre collection au zèle intelligent et à la mémoire prodigieuse d’une jeune fille du pays, morte aujourd’hui, qui s’est chargée de rechercher par tout le village les contes des veillées et nous les a ensuite transmis avec une rigoureuse fidélité. » M. Foulet ne suspecte pas la bonne foi de M. Cosquin ; mais il demande : « Qui était cette jeune fille au zèle intelligent et à la mémoire prodigieuse ? Savait-elle lire ? Quels livres