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lisait-elle ? Soupçonnait-elle qu’on racontât ailleurs des histoires analogues ? Avait-elle une idée du travail que préparait M. Cosquin ? Et, ces bonnes gens des veillées, qui étaient-ils ? Prenaient-ils la parole chacun à leur tour, ou y avait-il des conteurs attitrés ? D’où venaient leurs histoires ?... » A Montiers-sur-Saulx, y avait-il une école, au temps de M. Cosquin ? « De quels livres s’y servait-on ? Quels livres aurait-on trouvés chez les habitants ?... » M. Cosquin ne répond à aucune de ces questions ; et nulle question de ce genre n’est jamais posée aux folkloristes. M. Foulet compare l’extrême sévérité avec laquelle on a bien raison de taquiner le philologue et l’indulgence dont profite le folkloriste. Eh ! sans indulgence, le folkloriste serait inutilisable : car il travaille sans méthode ; et quelle méthode suivre, en son jeu plaisant ?

Une fois, M. Cosquin s’est occupé de savoir d’où venaient à Montiers-sur-Saulx, les contes que recueillait la jeune fille au zèle intelligent : « Quelques-uns avaient été apportés dans le village, peu d’années auparavant, par un soldat qui les avait entendu raconter au régiment. » Et M. Foulet : « Quel jour une simple phrase comme celle-là nous ouvre sur les origines des contes qu’on se redit dans tel ou tel village ! C’est Montiers-sur-Saulx brusquement mis en communication avec le reste de la France et, qui sait ? peut-être avec la littérature ! » Judicieuse remarque : ces contes, qui seraient la source des poèmes, ne dérivent-ils pas des poèmes ?

Pour démontrer que ces contes ne dérivent pas des poèmes et que les poèmes dérivent d’eux, il faudrait exactement dater le folklore : on n’y parvient jamais. On recueille en divers pays, en tous pays, des contes d’animaux, par exemple, et qui ont ensemble des analogies singulières. Alors, on dit : ces contes, latins ou germaniques, slaves ou scandinaves ne sont pas nés d’hier et d’un seul coup dans tous ces divers pays ; ils témoignent du temps où le peuple composait, — et les savants allemands disent, les savants de chez nous répètent : en Germanie, — l’épopée animale. Ces contes, recueillis partout de nos jours et qui ont ensemble des analogies, ont aussi des analogies avec le Roman de Renard : l’origine de ces contes ne serait-elle pas tout simplement le Roman de Renard ? Mais on répond : jamais de la vie ! comment voulez-vous qu’un poème, un vieux poème du XIIe siècle se soit répandu en tous pays lointains et jusque chez les Slaves et les Scandinaves ? Répliquons : vous admettez bien que se soit répandu en tous pays lointains et jusque chez les Scandinaves et les Slaves un conte, une quantité de contes, et non