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LE DÉMEMBREMENT
DU « SALON CARRÉ » AU LOUVRE

C’en est fait. Le Salon Carré est plus qu’une expression géographique. Ce n’est plus un lieu d’élection, ou un arc de Triomphe élevé aux chefs-d’œuvre de tous les temps et de toutes les écoles, — comme est la « Tribune, » aux Uffizi de Florence. Delacroix, Théophile Gautier, Taine, Fromentin, s’ils revenaient parmi nous méditer là où ils vinrent si souvent s’enivrer et s’instruire à la contemplation des vieux maîtres, seraient tout désorientés. Ils ne retrouveraient plus la Joconde, la Sainte-Anne, les Pèlerins d’Emmaüs, la Belle Jardinière, l’Hélène Fourment, le Charles Ier, le Condottiere, l’Erasme, l’Anne de Clèves, l’Assomption de Murillo, à côté des grands Vénitiens, les Giorgione et les Véronèse... Ils se demanderaient ce qui est arrivé à leur vieux Louvre. Quel cataclysme a passé, qui a dispersé, aux quatre coins de l’immense palais, le faisceau de rayons et de gloires qui rayonnaient autrefois dans cette haute salle, au-dessus de toutes les salles de ce musée et on peut dire de tous les musées du monde ?...

Que leur répondre, ou plutôt que répondre au passant qui revient au Louvre après les longues années de la guerre, persuadé, puisque notre patrimoine national a été sauvé, qu’il va retrouver notre vieux sanctuaire d’Art intact et tel qu’il l’a connu autrefois ? Non, ce n’est pas un cataclysme qui a démembré le Salon Carré, n’y laissant subsister que les œuvres d’une seule école, la Vénitienne : c’est une méthode nouvelle,