Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 53.djvu/773

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une « bonne méthode, » la méthode historique et didactique, jadis inaugurée par M. Bode, au musée de Berlin, continuée par M. de Tschudi, à la Pinacothèque de Munich, et qui, d’Allemagne, a gagné plus ou moins tous les musées du monde, les Uffizi exceptés. Les temps sont venus, où l’on n’entrera plus dans un musée seulement pour s’enivrer de beauté, et oublier les misères ou les contingences de la vie, mais pour s’instruire, apprendre des dates, et se perfectionner dans la géographie. On ne trouvera donc plus, dans une salle artificiellement composée, des Maîtres disparates désignés à l’admiration des foules. Chacun rentrera dans le rang, à sa place logique, chronologique, ethnique et scolastique, bien encadré entre les œuvres antérieures qui l’expliquent et celles qui l’ont suivi, — comme, dans un muséum, la hache de pierre polie vient après le silex taillé et avant le couteau de cuivre ou de bronze.

De la sorte, semble-t-il, l’imagination du visiteur sera contenue dans de justes limites : il ne risquera plus de prendre un homme de Sienne pour un Pisan, ni un flamand pour un hollandais, ce qui serait déplorable, et ne se jettera pas, au hasard et en mêlant toutes ses impressions, dans des extases inconsidérées. En voyant chaque œuvre séparément, loin des autres chefs-d’œuvre, il en jouira mieux, n’étant pas troublé par des beautés d’ordre différent et en comparant chaque maître avec les artistes moindres qui l’ont précédé et ceux qui l’ont suivi, il le comprendra davantage. Les influences, subies ou émises par lui, apparaîtront plus clairement. L’éducation du public par les professeurs d’histoire deviendra plus facile. On pourra mieux suivre les doctes leçons des chartistes et des dénicheurs d’authenticité. On peut bien sacrifier à ces solides avantages la vaine gloire d’étaler aux yeux du monde ébloui tous nos trésors à la fois. D’ailleurs, l’étranger ne le fait pas et nous étions seuls aujourd’hui, — avec les Uffizi, — à le faire. Cela ne se fait ni à Londres, ni à Madrid, ni à Munich, ni à Berlin. Le Louvre ne tranche déjà que trop sur les autres musées : c’est hélas ! un palais, au lieu d’être un échiquier de cabinets ou de galeries bâties, comme chez les marchands de tableaux, pour la « mise en valeur » des toiles. Faisons donc oublier que c’est un palais, ôtons tout ce qui peut lui rester d’originalité. Nous aurons bien mérité des amis de l’Art...

Que valent ces raisons ? Nous allons l’examiner.