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en formeront un autre. Les couleurs éclatantes, ensemble : ensemble, les couleurs sombres, le long d’allées bien droites, chaque tronc à sa place, selon sa grosseur et son écorce, étiquetée par une sûre critique. » C’était une forêt : c’est un jardin botanique.

Mais le passant a-t-il envie d’un jardin botanique ? Tout est là, car un musée n’est pas fait pour l’unique divertissement des savants. L’idée d’ordonner nos plaisirs, selon un plan didactique, n’est pas nouvelle et elle a eu, sur d’autres terrains, les plus lamentables résultats. En 1889, des gens de goût, un écrivain d’art notamment, qui était commissaire général, doués de l’expérience des foules, avaient organisé une Exposition universelle, où l’on flânait, où l’on admirait, ou l’on s’instruisait tout ensemble. Les tréteaux et les guinguettes voisinaient avec les métiers et les industries, des pavillons exotiques bruissaient de musiques bizarres et des nourritures imprévues se débitaient un peu partout, au sortir des galeries pleines d’engins industriels ou de graves congrès. La nuit, des eaux lumineuses jaillissaient en fantaisies superflues près de l’immense galerie des machines, où tout avait la rigueur du théorème et le poids de l’acier. Et, à travers tout ce dédale, fourmillait le va-et-vient des pousse-pousse, criant et filant à toutes jambes... On ne savait jamais bien où l’on était, mais partout où l’on était, l’on trouvait de quoi penser, de quoi manger, de quoi se divertir. C’était illogique et charmant.

En 1900, des gens logiques sont venus. L’écrivain d’art a été remplacé par un savant. Il a résolu de mettre de l’ordre dans les Expositions universelles. Tous les plaisirs ensemble, toutes les choses ennuyeuses ensemble, tous les restaurants ensemble. Par ici, ceux qui veulent s’amuser, par là, les gens qui veulent s’instruire, ici, ceux qui veulent se ravitailler, plus loin ceux qui veulent faire de la besogne. C’est ainsi qu’une immense avenue était tout entière consacrée à des funambules, théâtres, danses, cafés-concerts, dont les régisseurs s’époumonaient à attirer la clientèle, peu curieuse d’entendre encore trois ou quatre comédies, quand elle en avait déjà ouï tout le long de la route. Dans d’autres régions, consacrées à l’alimentation, on se disputait les convives déjà bourrés et abreuvés par les voisins concurrents ; dans d’autres erraient, mélancoliques, des familles entières à la recherche de quelque