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nourriture. Il y avait pléthore ou congestion. Et autour de tout cela, rigide, se déroulait le ruban sans fin d’un « trottoir roulant, » dont le parcours immuable et sempiternel promenait les gens autour de tout, sans les mener nulle part. Le résultat fut un ennui mortel et une suite de faillites, telle que, de ce jour, l’idée des Expositions universelles fut condamnée.

C’est ce même goût du classement méthodique et par analogies qui tente, dans nos musées, un retour offensif. Avec aussi peu de raison et une égale incompréhension de nos plaisirs. Certes, il y a des œuvres conçues par un artiste pour être vues ensemble et s’expliquer mutuellement : une suite, comme celle des Rubens de la galerie Médicis, par exemple, et l’on comprend qu’il ne faille pas les séparer... Mais en thèse générale, la répétition indéfinie des mêmes traits, dans la même école et au même temps, est d’une désespérante monotonie. Tous ceux qui ont erré dans les musées d’Italie, l’ont bien ressenti, s’ils ne l’ont pris toujours avoué, devant ces Vierges, ces Sainte-Famille, ces Martyres accumulés par une production impitoyable, selon les mêmes formules et comme fabriquées « en séries. » Les belles œuvres elles-mêmes gagnent plus à être avivées par le contraste, que renforcées par la répétition. Les peintures les plus expressives des diverses écoles réunies, ce sont les « complémentaires, » qui, mutuellement, s’exaltent, tandis que la réédition des mêmes traits émousse l’attention, sature le besoin, épuise l’enthousiasme. La salle du Poussin au Louvre, où il n’y a guère que des Poussin et des gens de la même école, est la moins émouvante de toutes, car elle est monotone et uniforme, et si c’est de l’ « uniformité » que « naquit un jour l’ennui, » c’est d’elle aussi que meurt l’émotion.

Contraste et choix, telles sont, au contraire, les conditions de nos joies esthétiques. C’est aussi, d’ailleurs, le processus inconscient de la nature. Lorsqu’après un voyage, après un séjour, mieux encore après toute une vie, ou au moins toute une jeunesse écoulée, les images des choses passées, les figures disparues, les lèvres fanées, les voix éteintes, les yeux fermés, viennent enchanter notre mémoire, avec les couleurs fraîches qu’ils avaient autrefois, ou avec celles que leur ont données la patine de l’oubli ou le glacis superposé des impressions nouvelles, viennent-ils en ordre logique et chronologique, par rang d’analogie, à des places déterminées avec des dates en