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dans les deux batailles de mars et d’avril avait sauvé la situation. Tant que l’Armée française serait debout, toute entreprise sur le front britannique tournerait de même. D’autre part, on avait identifié dans les batailles de mars-avril les numéros de tant de divisions françaises, que le front à l’est de Noyon devait s’en trouver de toute évidence singulièrement affaibli. Peut-être aussi y eut-il intervention du kronprinz de Prusse. C’était son groupe d’armées qui, entre la Somme et Verdun, faisait face à l’Armée française, tandis que celui du kronprinz de Bavière était opposé au front britannique ; la Mer serait la victoire du Bavarois ; le jeune prince impérial n’avait guère cessé de penser à Paris. En attaquant dans la région de l’Oise ou de l’Aisne, on lui donnerait satisfaction. Il dut y avoir compromis ; on se jetterait brusquement sur l’Ailette ; la surprise, cette fois encore, seconderait la force ; on emporterait les plateaux de l’Aisne ; peut-être parviendrait-on à forcer la rivière ; et, Soissons et Reims ayant succombé, on viendrait border la Vesle. Une opération secondaire, ultérieure, permettrait de s’aligner sur la transversale Montdidier-Compiègne-Soissons, supprimant ainsi le saillant qui se serait creusé dans les lignes au Nord de l’Aisne. Alors serait-on maître de la situation parce-que libre de choisir entre les deux grands coups : la Mer ou Paris. Il semble bien aujourd’hui que Ludendorff ne fut pas absolument fixé sur l’objectif final ; j’ai dit qu’il était joueur, et, tout en accumulant les atouts, comptait en outre sur une belle chance. Et, par surcroît, il ne lui déplaisait peut-être pas de donner satisfaction au fils du souverain, au futur empereur. Le bruit se répandait en Allemagne que, d’un maître coup, on allait enfin jeter bas l’ennemi principal : « ici, écrit-on d’Aix-la-Chapelle le 17 mai, tout le monde croit que la dernière attaque de Ludendorff terminera la guerre. Le Kaiser est venu ici, il y a dix jours, et a exprimé l’opinion au Conseil municipal que la guerre serait terminée dans deux mois. »


L’OFFENSIVE ALLEMANDE DE L’AISNE
27 MAI — 3 JUIN

Notre front, au nord de l’Aisne, était, le 26 mai, au soir, du confinent de l’Ailette avec l’Oise à la forêt de Vauclerc, tracé par la petite rivière aujourd’hui célèbre ; à l’est de la forêt de