Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 53.djvu/77

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de notre alliée. Au fond Ludendorff ne peut faire bon marché d’une mesure qui lui enlève sa principale chance de mettre à mal l’adversaire. Mais l’opinion avait besoin d’être soutenue et même rassurée. Elle avait été déçue par la façon dont s’étaient terminées les attaques du 21 mars et du 9 avril. On était parti pour la gloire et surtout pour la paix ; or Amiens n’était pas pris, Calais à peine approché. Le 16 avril, on écrivait encore à Berlin qu’il y avait déjà Unter den Linden des écriteaux annonçant la location des fenêtres pour assister à la rentrée triomphale des troupes ; les puritains répétaient les propos habituels : les Français étaient battus, les Français enfoncés parce que « Dieu ne se laisse pas railler. » Mais du front, on avait écrit, le 2 mai, que « l’Anglais était un rude compagnon qui ne se laisserait pas battre aussi facilement qu’on le pensait » et, les Américains ayant brillamment débuté dans une attaque en Picardie, on avouait que ces soldats si neufs « savaient se défendre avec ténacité. » Et puis ces Français, qu’on disait sans cesse abattus, reparaissaient sur tous les champs de bataille et où on ne les attendait pas — gens qui, partout et toujours, rétablissaient les affaires compromises de l’Entente. On était découragé. Il fallait tenir aux citoyens allemands des raisonnements où tout n’était pas bluff. « Hindenburg et Ludendorff, avait écrit le 27 avril un des porte-paroles les plus autorisés de l’État-Major, Salzmann, sont en train de forger chaque anneau qui va s’ajouter à cette chaîne jusqu’au jour où peu à peu elle sera devenue impossible à briser. Alors la grande œuvre sera terminée. »

Quel allait être le nouvel « anneau ? » Raisonnant d’après le bon sens et attribuant à Ludendorff plus de continuité qu’il n’en devait montrer dans ses idées, notre Haut Commandement ne croyait guère qu’à une offensive en Artois ; entre le « chaînon » Picardie et le « chaînon » Flandres, les Allemands tenteraient de forger le « chaînon » qui les mettrait à l’alignement, et ainsi serait préparée la seconde phase d’offensive qui, sans doute, par une attaque d’Artois, les porterait, d’Abbeville à Calais, à la Mer.

Ludendorff, pour l’heure, avait cependant d’autres projets. Sans abandonner un instant la pensée de l’offensive décisive dont l’objectif restait le Pas-de-Calais, il pensait à une puissante diversion sur le front français. Seule, l’intervention des Français