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est précisément notre raison de le conserver. C’est le trait particulier et la signature du Louvre. C’est une tradition française, pas très ancienne assurément, parce que les musées même ne sont pas très anciens, mais déjà respectée par plusieurs générations. Que l’on ne fasse pas, ou que l’on ne fasse plus, une semblable « Tribune » dans les autres pays, je le crois sans peine. Qu’y mettrait-on ? Sans méconnaître le moins du monde l’intérêt de collections admirables comme, par exemple, la National Gallery, on peut bien dire qu’elles sont loin de concentrer des chefs-d’œuvre assez différents et assez célèbres pour donner un pendant au Salon Carré. La « Tribune, » elle-même, de Florence, incomparablement riche en maîtres italiens, est à peu près dépourvue des autres écoles. Les musées de Hollande ne sont supérieurs qu’en maîtres de leur pays. Ne parlons pas des musées d’Allemagne : « La galerie de Berlin restera toujours au second rang, disait M. Bode lui-même, si l’on évalue l’importance d’une collection d’après le nombre des chefs-d’œuvre des grands artistes aux époques où la peinture a atteint son apogée. » Et il se rabattait sur l’intérêt historique des séries non interrompues des maîtres d’écoles qui s’y trouvent représentés. De la Pinacothèque de Munich, les admirateurs des méthodes allemandes disaient, avant la guerre, la même chose. Ils n’osaient pas prétendre que c’était un musée comparable au Louvre, mais ils disaient : « Un musée réorganisé par les soins de M. de Tschudi ne se présente plus comme un amas désordonné de numéros : il devient un ouvrage d’une valeur didactique, dont chaque page équivaut à une page d’histoire. » C’est une conception du rôle des musées : ce n’a pas été jusqu’ici la nôtre, nous ne sommes pas obligés de l’adopter. Nous n’avons pas à suivre l’exemple des musées de l’Etranger, mais à le leur donner, ni à subir toutes les méthodes ou les modes qui ont cours en Europe, mais à les éprouver au tact de notre sentiment national. Or, c’est un sentiment universellement répandu, chez nous, que le Salon Carré est la gloire du Louvre. Nous ne devons pas y toucher.


ROBERT DE LA SIZERANNE.