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deviendra aussi mouvementé qu’une gare de chemin de fer. Il y a donc, là, matière à disputes infinies. Pourtant, les conservateurs de musées prennent la responsabilité d’une décision. Ils disent au public : « Cette œuvre est flamande ; celle-ci est française ; cette autre italienne, de telle cité, de tel temps. » Ils ont raison de la prendre, parce qu’enfin, il faut bien placer ces œuvres quelque part. Mais il y a, dans toutes ces décisions, une forte dose d’arbitraire. Il y en a tout autant que dans le choix des chefs-d’œuvre et pour décider si Vermeer ou Gérard Dow sont dignes du Salon Carré.

La peur des responsabilités n’est point, d’ailleurs, ce qui arrêta, jusqu’ici, l’Administration du Louvre, dans ses avatars les plus retentissants. Et l’on est tout ébahi de la trouver aujourd’hui si timide... Elle a donc bien changé ! Elle n’ose prendre la responsabilité de désigner à la foule, comme des chefs-d’œuvre, les choses d’Art consacrées par les siècles et adoptées par nos pères, mais elle a fort bien pris la responsabilité d’acquérir la tiare de Saïtaphernès. Elle a pris la responsabilité d’accepter, dans la collection Chauchard, nombre de toiles fort équivoques et tout à fait indignes du Louvre. A maintes reprises, elle a pris la responsabilité de nettoyages et de restaurations de nos vieux grands maîtres et ce ne furent pas des miracles d’à-propos et de renaissance. Dans tout cela, le public n’a été ni consulté, ni pressenti, ni mis à même de ratifier, ou de contredire, les ukases de l’Administration. Je ne parle pas des catalogues, dont quelques-uns, hier encore en circulation, offraient aux curieux des mines inépuisables d’erreurs, de coq-à-l’âne et les plus étranges libertés avec la langue française. Je n’en parle point, parce que, de ce côté-là, il semble que l’on s’ingénie à remédier au mal et les nouvelles éditions offertes au public marquent un très sensible progrès. Mais supprimer le Salon Carré par crainte des critiques, dans un musée qui en a soulevé de si nombreuses et de si graves, est une thèse qui ne peut se soutenir un instant.

Encore moins celle-ci que nous devons suivre l’exemple des étrangers. « il n’y a. de Salon Carré qu’en France ! » nous dit-on. C’est donc que nous avons, au Louvre, quelque chose d’unique et d’universellement envié. Gardons-le donc en dépit des quelques étrangers, renards de la fable, qui nous le voudraient voir sacrifier. Ce qu’on nous donne comme une raison de le détruire