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avait vu jusque-là, — 4 000 pièces d’artillerie, très exactement le quadruple du nombre de batteries dont nous disposions sur ce point, — devait appuyer une si formidable infanterie : l’ypérite serait le principal moyen employé pour paralyser la défense et jamais le mot « paralyser » n’aura mieux revêtu son sens littéral : l’ennemi trouvera, en effet, certains de nos mitrailleurs, de nos artilleurs, les mains crispées sur leurs armes, elles-mêmes comme corrodées par l’action des gaz.

Ne se fiant pas encore à cette accumulation de forces et de moyens, l’ennemi avait, plus encore qu’à la veille de la grande attaque sur le front anglais, multiplié les précautions, pour qu’au maximum de force s’ajoutât le maximum de surprise. Les troupes furent acheminées dans l’ombre ; elles ne relevèrent qu’à la dernière heure les camarades en secteur ; l’artillerie ne fut acheminée vers le front de bataille qu’avec un incroyable luxe de précautions ; les roues des canons et caissons avaient été entourées de matelassures et les prescriptions les plus sévères données pour empêcher tout cliquetis. Les réglages furent faits avec une extrême prudence : la préparation serait deux fois plus courte qu’au 21 mars. On pouvait donc espérer trouver un corps d’armée entier endormi.

Les indices recueillis dans la dernière semaine étaient très faibles. Le général Duchêne, cependant, signalait une attaque comme probable sans la croire imminente, sans pouvoir surtout la prévoir aussi formidable et, partant, aussi irrésistible. Il se réservait encore, par ses instructions des 18 et 24 mai, le droit de prescrire la destruction des ponts et passerelles de l’Aisne et de la Vesle. Il paraît bien que le 11e corps (Maud’huy) qui, on se le rappelle, occupait les plateaux, avait un dispositif conforme aux ordres de l’armée, mais ce dispositif n’avait été ni fortifié ni modifié depuis le 20 mai en vue d’une grosse attaque. C’était faute de moyens ; car, par une note du 28 mai, le général commandant la 6e armée avait signalé à ses commandants de corps l’attaque comme probable. Mais jamais offensive n’avait été camouflée avec une pareille perfection.

Le 26 mai seulement, dans l’après-midi, deux prisonniers faits dans la région de Colligis et pressés de questions par le général de Maud’huy, déclarèrent que l’attaque aurait lieu le lendemain vers 3 heures du matin sur le Chemin des Dames, après une violente préparation d’artillerie de deux heures. Le