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Lorrains résidant en France l’en avaient si souvent et si instamment priée.

Le fonctionnaire allemand est, vis-à-vis de ses supérieurs, d’une souplesse prodigieuse. Il n’en reste pas moins un adversaire sournois de la France. Ayant trouvé des subordonnés aussi maniables, certains chefs de service ne se donnèrent aucun mal pour chercher des remplaçants, surtout parmi les fonctionnaires indigènes, qui, sous le nouveau régime, croyaient avoir quelque droit à un avancement. C’est surtout dans l’administration des chemins de fer, où, sur 40 000 employés, il y avait plus de 4 000 Allemands, que la première direction refusa d’éliminer les indésirables : « Je défends mes Boches le revolver au poing, » tel est le propos qu’aurait tenu l’ancien chef du service. De fait, la plupart des emplois importants de la direction générale étaient encore, plusieurs mois après l’armistice, occupés par des Allemands, pangermanistes notoires. Chefs de gare et chefs d’équipe allemands, maintenus en fonction, étaient également très nombreux. De là un mécontentement croissant dans la population indigène et surtout dans le personnel des chemins de fer.

Les Allemands, immigrés ou enfants d’immigrés, étaient, en 1913, 400 000 environ, alors que le chiffre global de la population d’Alsace-Lorraine était de 1 886 000 habitants. Or, ces Allemands, du moins ceux d’entre eux qui appartenaient aux classes cultivées, avaient tous accepté la mission de germaniser les « Marches » de l’Ouest. Ils étaient donc pour la France, rentrée chez elle après une absence de quarante-huit ans, les moins assimilables de tous les sujets de l’Empire. Leur laisser une part d’influence très large, c’était s’exposer aux pires mécomptes. L’événement a prouvé que, sans se livrer à une agitation directe, qui aurait pu entraîner pour eux des conséquences fâcheuses, ils surent donner à tous les malentendus, inévitables pendant une période de transition, un caractère anti-national. Je ne citerai qu’un exemple. Il y avait à Colmar un chef de traction allemand, du nom de Ziegler, qui était (le croirait-on ?) préposé à l’examen des candidats au secrétariat des chemins de fer. Or, à la mère d’un de ces candidats, qui l’interrogeait sur les résultats de l’examen de son fils, il fit, fin mars, la réponse suivante : « Votre fils a très bien passé son examen, mais il ne sera néanmoins pas engagé, car il a