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commis l’imprudence d’écrire, dans sa demande, qu’il avait pendant la guerre volontairement abandonné les lignes allemandes et s’était engagé dans l’armée française. Or, comme mon chef le dit fort bien, qui fut une canaille (Schuft) chez les Allemands, le sera également chez les Français. » Sans commentaires, n’est-ce pas ?

Les Alsaciens-Lorrains eurent ainsi à subir, même après la victoire des troupes alliées, la morgue et l’insolence des fonctionnaires allemands. S’ils en marquèrent quelque impatience, ceux-là seuls le leur reprocheront qui ignorent ce qu’ils eurent à souffrir, pendant près d’un demi-siècle, d’être livrés sans défense à ces maîtres étrangers.

Bon nombre d’Allemands ont été expulsés d’Alsace-Lorraine, m’objectera-t-on. C’est exact. Environ 50 000 de ces indésirables sont partis ou ont été priés de s’en aller. Il en reste cependant beaucoup trop. Et ici je ne puis pas épargner à mes compatriotes un reproche qui n’est que trop justifié. Les autorités militaires auraient procédé à un nettoyage plus sérieux du pays, si les indigènes d’origine française ne s’y étaient pas souvent opposés : « Toutes les fois que je veux expulser un Allemand, me disait un officier chargé de cette besogne, vingt Alsaciens me demandent en grâce de l’épargner. Qu’on chasse tous les autres, mais pas celui-là, » Relations d’amitié ou d’affaires, petits services personnels rendus jadis, quelquefois liens de parenté par mariage, autant de motifs qui paraissent suffisants à des hommes, trop enclins à substituer leurs petits intérêts privés à l’intérêt général, pour arrêter l’œuvre nécessaire d’épuration.

Ces interventions sont regrettables. Depuis que le mouvement des expulsions s’est ralenti, depuis surtout qu’on a mis en perspective à la plupart des Allemands l’obtention prochaine de la nationalité française, l’audace de ces derniers s’accroît. Ils commencent à relever la tête et à parler en maîtres. On retrouve leur main dans tous les mouvements ouvriers et leur inspiration dans toutes les campagnes anti-françaises. Lors de la grève des tramways de Strasbourg, des officiers français furent maltraités et, sur la place de la gare, un groupe de perturbateurs entonna le Deutschland über alles. On ne me fera jamais croire que des Alsaciens aient pu, sans y être poussés par des Allemands, se livrer à ces déplorables manifestations.