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La situation, dans ces communes, était cependant exceptionnelle. Il s’y trouvait, pendant les cinq années de guerre, plus de soldats que d’habitants civils, autant de précepteurs pour les enfants, qui, ainsi que l’expérience l’a prouvé, parlent plutôt la langue de la rue que celle de la famille. Or, dans les communes rurales de l’Alsace et de la Lorraine retrouvées, il n’y aura pas de garnisons. Dès lors l’oreille des enfants ne pourra pas s’accoutumer à une langue dont l’emploi leur restera par ailleurs complètement étranger.

Un autre élément vient compliquer le problème. Le corps des instituteurs, étant composé presque entièrement d’Alsaciens-Lorrains d’origine française, l’administration a fort sagement maintenu tous ces fonctionnaires dans leur emploi. Or, bon nombre de ces instituteurs n’ont qu’une connaissance rudimentaire du français. Ils mettent une évidente bonne volonté à combler les lacunes de leur éducation ; mais leurs progrès seront lents et leur enseignement en souffrira. La langue ne doit d’ailleurs pas être l’unique préoccupation du maître. Celui-ci peut-il utilement enseigner l’histoire, la géographie, les mathématiques en se servant d’un autre véhicule que celui de la langue maternelle ? Le clergé ne consentira pas, lui non plus, à donner l’enseignement religieux, qui repose sur des concepts abstraits, en une autre langue que celle qui est d’usage courant dans le pays.

Ces objections, présentées par les partisans de l’enseignement donné d’abord en allemand, sont défendables. Il est de toute évidence qu’on ne pourra pas transformer l’Alsace-Lorraine en un pays de langue française par un coup de baguette magique. Là encore il faudra beaucoup de patience et des expériences répétées pour arriver au but que tous désirent.

Cette question angoissante de la langue ne se pose pas seulement à l’école. La grève des cheminots lorrains l’a prouvé. Un chef de dépôt, venant de France, avait, disait-on, invité à passer le Rhin des subordonnés indigènes, dont l’attitude lui déplaisait. Il s’est depuis lors défendu d’avoir tenu les propos qu’on lui prêtait ; mais il faut bien reconnaître que si, en l’occurrence, il fut innocent, d’autres Français de la vieille France ont souvent singulièrement abusé de l’expression blessante de « Boche » lorsqu’ils se querellaient avec des Alsaciens-Lorrains