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forme. Après une dernière tournée de punch, sous une pluie diluvienne, Malet, escorté de son nouvel aide de camp, et de Boutreux, se mit en route.

Le premier acte que Malet devait jouer sous le nom de Lamothe, réussit à miracle. Le commandant Soulier, réveillé dans un accès de fièvre, ahuri par la nouvelle, affolé par le grade de général et les cent mille francs qu’on lui offrait, accepta tout, et mit sa cohorte à la disposition de Malet. Réunie dans la cour de la caserne Popincourt (rue Saint-Ambroise), la cohorte de gardes nationaux, à laquelle un commissaire de police bredouillait des textes de lois, qu’un général daignait haranguer et devant qui son adjudant-major lisait un très long ordre du jour plein de noms de généraux, n’eut pas la moindre sensation qu’elle fût trompée. Officiers, sous-officiers et soldats, sous la terreur du code militaire, n’eurent garde de discuter des ordres supérieurs, et, leurs chefs marchant, tout marcha. Malet avait gagné la première manche, il avait en main une force armée essentiellement obéissante, dont les chefs obtempéreraient passivement [1].

Au second acte, même succès. Il s’agit de délivrer Lahorie, Guidal et même Boccheiampe. Cela se fait sans que, à la Force, le poste, ni le concierge, opposent la moindre résistance. Il y eut quelque temps perdu, car Lahorie et Guidal, n’ayant aucune idée de ce qu’on leur voulait, prirent leur temps pour s’habiller. Mais eux non plus ne firent aucune observation, ils se placèrent en civils à la tête de la troupe que leur donna Malet, et ils se mirent en marche, vers le ministère de la Police et la préfecture de Police. Guidal devait en outre arrêter Clarke et Cambacérès et occuper le Sénat. Ge n’était point petite besogne. Mais Malet s’en rapportait à son génie. Aussi bien tout lui réussissait. Il venait d’envoyer directement ses ordres au colonel de la Garde de Paris et, par des plantons de la 10e cohorte, il avait adressé, pour chaque compagnie, leurs instructions aux deux adjudants de bataillon. et ces ordres étaient exécutés. Bien mieux ! ceux que, par Soulier, il transmettait

  1. De la Caserne, tant il est sûr d’avoir réussi, il emmène un garde de la 10e cohorte, nommé Boniface Pillot, dans une maison que celui-ci ne peut indiquer et où « les conspirateurs prennent un volumineux portefeuille qu’ils lui font porter jusqu’auprès de la place Vendôme. » Là, Rateau reprend le portefeuille sur l’ordre de Malet, et en se sauvant de l’Hôtel de l’État-major de la place, il le jette dans un coin obscur du vestibule.