Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 53.djvu/905

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Malet, et Puyvert a certifié qu’il était au courant. Comment donc Lafon échappa-t-il aux recherches ordonnées dans tout l’Empire ?

Il était resté chez Caamano lorsque Malet en était parti, mais durant l’expédition, il avait, à certains moments, apparu pour plonger presqu’aussitôt. A la sortie de la Force, il était à côté de Malet. Dans la cour de la préfecture de Police, il recommanda à Boutreux de ne point dire comment il s’appelait ; il monta dans l’appartement du baron Pasquier, ne passa pas l’antichambre, mais il dit alors à Boutreux : « Il faut que vous fassiez signer à M. le préfet l’ordre de mettre en liberté tous les prisonniers d’État. » Et comme l’autre s’excusait, il insista : « Il faut faire mettre en liberté tout ce qui est détenu pour opinion politique. » Dans la cour, Boutreux le trouva encore. « On ne voulait pas le laisser sortir : Boutreux intervint, Lafon lui dit qu’il allait voir ce qui se passait, et, dit Boutreux, je ne l’ai pas revu. Il avait mon karrick sur le dos. Il me l’a emporté. » Les cachettes ne devaient point lui manquer ; et le bruit de son suicide ne nuisit pas à sa fuite. On baptisa Lafon tout noyé et tout pendu qu’on trouva en forêt ou rivière, et la police courut sur ces fausses pistes, durant que le vrai Lafon gagnait un collège où on l’engagea comme régent. Il y resta jusqu’à la chute de l’Empire.

Quant aux victimes qu’avait faites Malet, les victimes de l’obéissance passive, elles n’avaient nullement cherché à se dérober aux châtiments qui les menaçaient. La justice militaire retint le chef de bataillon Soulier, commandant la 10e cohorte, avec deux capitaines, quatre lieutenants, deux sous-lieutenants ; le colonel de la Garde de Paris, avec trois capitaines, deux lieutenants, le reste sous-lieutenants, adjudants et sergents-majors. En fait, il n’y avait qu’un auteur, qu’un exécutant, qu’un coupable, — Malet. — Au-dessous, loin, Lafon et Boutreux. Le reste, même Lahorie et Guidal, avait des excuses.


LE PROCÈS

Malet, interrogé une première fois devant le procureur général de la Haute-Cour, puis à huit heures et demie du soir, devant les conseillers d’Etat et maîtres des requêtes chargés des 1er et 3e arrondissements de la police générale, n’eut point du tout une attitude résolue et stoïque. Il allégua, comme font beaucoup de criminels, l’intervention d’un personnage mystérieux