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n’avaient, la plupart, qu’une existence hypothétique. Il était de ceux qui, en plus grand nombre sans doute qu’on ne pense, se disposaient à remplacer Napoléon, de ceux qui, voyant l’effet sans juger la cause, se disaient : Pourquoi pas moi ? Il n’était ni républicain, ni royaliste, il était maletiste.

Que son ambition eût tourné à l’idée fixe et que l’on dût en lui reconnaître le délirant à certains symptômes, cela est certain, et ce qui en est la meilleure preuve, c’est que tout en fondant son plan entier sur la crédulité humaine, il n’avait en fin de compte d’autre ressource qu’un coup de pistolet pour emporter la conviction de ceux qui résisteraient. Telle était sa certitude de réussir, qu’il ne s’abaissait même pas à agir de sa personne sur tel ou tel des personnages majeurs auxquels il s’attaquait. Il leur envoyait par une ordonnance, un chiffon de papier dépourvu de tout caractère d’authenticité, et dont le moindre examen démontrait la fausseté. Si à Soulier, il avait pris la peine de faire lire par Boutreux les pièces politiques, rien de cela avec Rabbe, avec Lahorie, avec Guidal, avec Doucet, avec Deriot. On peut se demander pourquoi il n’avait pas destiné un de ses paquets à Savary, un second à Pasquier, un troisième à Desmarets. Cela eût complété le tableau dans un sens que connaissent bien les aliénistes, mais les deux actes de violence par lesquels il termine lorsqu’il voit qu’il échoue, ne sont pas moins significatifs. Cet homme qui, jusque-là, a si judicieusement combiné son plan, entre ici dans l’absurde. Peut-il penser qu’il soit de taille à lutter contre l’armée, la police, l’administration impériale ? La révolte ouverte d’un homme seul contre l’Empire et ses cent vingt millions d’hommes, ne peut passer que pour un acte de folie. S’il raisonne, il voit qu’Hulin tué, Doucet tué, ses pistolets vides, il est aux mains de Laborde, des dragons de service, de n’importe qui. Ce n’est plus le calculateur qui, en combinant son projet, a fait preuve d’un remarquable esprit de suite et d’une connaissance approfondie de tous les détails. C’est un aliéné qui, ayant essayé tous les moyens de persuasion, et ayant échoué, entre en accès et se rue contre son gardien. On lui passe la camisole, et tout est dit.


FRÉDÉRIC MASSON.