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monte la tête dans ces lectures solitaires. Le petit lieutenant obscur, intelligent, s’excite à l’idée de l’Etat et par l’exemple des grands hommes. « Dès lors je vouai un culte à la figure puissante et passionnée de Bismarck. L’œuvre de nos rois pour la grandeur de la Prusse et de l’Allemagne apparut à mes yeux en traits éblouissants. Le serment de fidélité que je leur avais juré devint une loi, une religion du sacrifice. Je voyais l’Allemagne, dans le passé, être le champ de bataille éternel de l’Europe. L’importance essentielle de l’armée et de la flotte pour notre sécurité était une leçon qui ressortait de toute l’histoire. Je n’avais, en même temps qu’à ouvrir les yeux autour de moi pour admirer la majesté de l’œuvre pacifique de mon pays et sa part immense dans le labeur de l’humanité et de la civilisation. » Mais il savait aussi que cette œuvre ambitieuse portait ombrage au reste du monde et commençait à l’inquiéter. Attaché en 1904 au bureau des opérations de l’Etat-major général, le résultat de ses études fut la nécessité d’un renforcement de l’armée et la fameuse demande du crédit d’un milliard. Il ne put obtenir la création de trois corps d’armée.

C’est bien l’homme qui, choisissant un nom pour sa première victoire, décide de l’appeler la bataille de Tannenberg, en souvenir d’un combat livré au même endroit par les chevaliers teutoniques. C’est celui qui, soldat dans l’âme, et convaincu de la grandeur de la mission de l’armée, choisit comme arme l’infanterie et la fait choisir à ses beaux-fils, parce que, dit le règlement, c’est l’arme qui a de toutes la gloire de plus souffrir. De cette armée il aime tout : elle s’identifie à la grandeur même du pays. N’allez pas lui parler du « militarisme prussien, » comme si ce militarisme n’était pas « l’âme même de la conscience et du devoir, et ce don absolu de la personne à l’État, qui ont créé à la Prusse et donné à l’Allemagne une ère d’incomparable splendeur ! » Aussi, comme il s’irrite de la plate rhétorique des démagogues socialistes qui prétendent réformer l’armée, en extirper l’esprit de caste et de privilèges : Toucher à l’armée, malheureux ! Toucher à l’arche sainte ! Est-ce qu’on n’a pas, en pleine guerre, au lieu de redoubler de rigueur, fait la folie d’adoucir le code militaire, d’y introduire je ne sais quelles circonstances atténuantes, d’ôter à l’officier son arme la plus puissante, d’interdire la peine du