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suprême (oberste Heeresleitung) et ont pris en main les affaires militaires de l’Empire. Aussi bien cette partie des faits est-elle la plus importante aux yeux de Ludendorff lui-même, comme celle sur laquelle il a le plus à cœur de se justifier : elle occupe à elle seule plus des deux tiers de son plaidoyer. Nous discuterons tout à l’heure quelques-uns de ses arguments. Contentons-nous pour l’instant de signaler les points les plus dignes d’attention.

On voit tout de suite, par exemple, que l’Allemagne, dès le milieu de l’été de 1916, se trouvait dans une situation réellement tragique. Battue dans sa double offensive de Verdun et du Trentin, battue en Galicie, en Macédoine, sur la Somme, elle se voyait de toutes parts réduite à la défensive. Et quelle défensive ! Elle ne parvenait à tenir qu’au prix d’effroyables sacrifices. Ses armées fondaient à vue d’œil. En quelques mois, la face des événements s’était complètement retournée. Il suffisait de la moindre des choses pour consommer la défaite des Empires du Centre. Qu’à ce moment exceptionnel il se produisit un fait nouveau, que l’intervention roumaine eût été réglée avec plus de soin, c’en était fait de l’Allemagne, et la victoire était à nous. Cette victoire de l’Entente était encore fort possible pendant les premiers mois de l’année suivante. Ce n’est qu’avec un cœur serré, en dépit des mesures de sécurité qu’il avait prises, que Ludendorff vit venir une nouvelle bataille défensive. Le 9 avril 1917 fut un des « jours noirs » de sa vie. Et la journée du 16 avril ne fut pas beaucoup plus rassurante. « Le général Nivelle avait conçu réellement le grand objet stratégique. » Et après que nous eûmes renoncé à cette entreprise, ce fut le commencement de la terrible bataille des Flandres : les journées du 30 juin, du 1er août, du 14 août, du 16 août, les batailles de septembre, les batailles du 20 août à Verdun, du 23 octobre à la Malmaison, du 17 novembre à Cambrai, furent autant de coups qui retentirent d’une manière funeste dans toute l’Allemagne. Jamais encore l’armée allemande n’avait été soumise à une si rude épreuve. Même les surprenantes victoires qui terminèrent l’année ne suffirent pas encore à distraire Ludendorff de sa préoccupation. « Le monde (et le monde commençait très vite autour de moi), le monde vit Tarnopol, Czernowitz, Riga, il vit Caporetto, Udine, la Piave : il ne vit pas mon cœur, il ne vit pas ma douleur, la