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rivière une des lignes de défense qui nous paraissaient tout à la fois les plus assurées et les plus nécessaires. Bien plus, l’ennemi ayant reconquis et le terrain gagné par nous en 1917, — au prix de quels efforts ! — et celui-là même que nous avait valu la bataille de la Marne de 1914, avait atteint la ligne de Paris à Châlons et nous enlevait ainsi une des voies de communication les plus précieuses. Privés déjà, dans nos relations avec les armées alliées du Nord, de la grande ligne de Paris à Amiens, nous voici privés de celle qui nous liait avec nos armées de l’Est. Notre défense en est sinon paralysée, du moins singulièrement gênée.

Le front, par ailleurs, est étendu de 53 kilomètres au lendemain d’une bataille où nos pertes — considérables — nous affaiblissent, et l’ennemi, déjà rapproché de Paris au Nord par la prise de Montdidier, menace la capitale, à l’Est, par l’occupation de Château-Thierry. Sans doute est-il prématuré de parler, — ainsi que le fait la presse officieuse allemande, — d’un « encerclement » de Paris. Il n’en va pas moins que la grande ville apparaît chez nous, aux plus optimistes, comme nettement en péril. Si les Allemands parviennent, par une nouvelle offensive heureuse, à réduire le saillant que leurs offensives au nord de l’Oise et au sud de l’Aisne a créé au nord-est de notre capitale, ils peuvent partir de là pour une suprême tentative en direction de Paris même. Et sans parler du coup sensible porté à notre prestige autant qu’à notre force, le champ de bataille énorme où, depuis le 21 mars, se promène, en quelque sorte, la lutte, s’est de la façon la plus défavorable encore modifié. Pour l’Entente elle est désormais sollicitée par deux inquiétudes pressantes, celles qui résultent du double objectif que l’Allemand est maintenant en mesure d’atteindre ou tout au moins d’approcher.


Les gouvernements et commandements alliés avaient compris la gravité des circonstances et la leçon qui, une fois de plus, s’en dégageait. La lutte en devenait plus lourde. Que les offensives allemandes se succédassent rapidement, et nos ressources en hommes fondaient de telle façon qu’à moins d’afflux tout à fait extraordinaire de forces américaines, la crise des effectifs en deviendrait, de sérieuse, tout à fait tragique. Et si,