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cette autre vérité ; ces pays trop comblés, trop gras, avaient perdu toute valeur morale. Ils étaient attachés trop avant aux biens de cette terre. Combien nos paysans illettrés et nourris de châtaignes, sous le chaume de leurs fermes au sol en terre battue, où picorent des poules noires, offraient plus de noblesse, de distinction natives ! Combien de ressources dans ces âmes incultes et intactes ! Quel ressort dans ces cœurs ! Notre victoire était celle de l’homme libre qui sait souffrir, sur l’homme esclave de la jouissance matérielle.

Tout cela est parfaitement vrai. L’Allemagne a subi une défaite morale, parce qu’en définitive le vaincu est celui qui consent à l’être. Qui de nous ne se souvient d’avoir éprouvé une profonde stupeur quand l’Allemagne accepta les termes de l’armistice ? A cela le gouvernement de M. de Bethmann ou du prince Max ne pouvait rien. L’Empereur même, s’il l’avait voulu, n’aurait pu réussir à galvaniser ce grand pays qui avait oublié son honneur et ne songeait plus qu’à tirer le meilleur parti d’une mauvaise affaire. L’Allemagne, depuis deux ans déjà, ne pensait plus à autre chose. La première parole qui sortit de la bouche du kronprinz, au mois d’août 1916, quand Ludendorff prit possession du commandement suprême, ce fut le mot de paix ; même refrain quand il vit le prince de Bavière. Ludendorff, d’une façon un peu incohérente, nous accuse tour à tour d’avoir lancé l’idée d’une « paix de compromis » et d’avoir nourri en même temps un véhément désir d’anéantir l’Allemagne. Il se trompe. La manœuvre de la paix blanche, le coup de la partie nulle, n’est pas parti de ce côté des lignes. Ce fut une « habileté » de la diplomatie autrichienne et allemande, à laquelle je ne crois pas qu’aucun de nos hommes d’État ait jamais opposé autre chose que la plus catégorique et la plus décourageante des fins de non-recevoir.

Ludendorff « laissa faire » les ouvertures du 12 décembre 1916. Il dit qu’il en voyait le danger. Pour lui, devant la volonté implacable de l’ennemi, il ne voit pas d’accord et d’entente possibles ; il comptait seulement, dit-il, sur l’atrocité de nos refus ou de nos conditions pour provoquer dans son pays un sursaut d’héroïsme, une révolte de l’honneur. Lui qui « connaît les hommes, » ne connaissait pas assez l’Allemand « post-bismarckien. »

Mais l’Allemagne ne souhaita la paix que du jour où elle