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l’animait du bruit de son passage incessant, du va-et-vient de ses officiers et de la rigidité de ses sentinelles.

Sous les « Linden » et dans les rues adjacentes, moins, beaucoup moins d’automobiles de luxe et de louage, mais toujours la même succession ininterrompue de tramways se croisant dans tous les sens. Sur les trottoirs des larges artères, la même foule de piétons affairés ; dans les cafés, autant de consommateurs attablés. À les examiner de près on s’aperçoit que leurs vêtements sont des tissus douteux où quelque « ersatz » a remplacé la laine ; de même pour l’élégance des femmes, empruntée aux dernières modes de Paris. En somme, Berlin semble avoir repris sa vie normale de luxe, d’affaires et de plaisirs. Les beaux magasins des Linden, de la Friedrichstrasse, de la Leipsigerstrasse exposent les mêmes objets d’un goût tapageur, les mêmes futilités coûteuses, signe évident qu’ils ne manquent pas d’acheteurs. Approchez-vous des maisons de confection ou des innombrables marchands de cigares ; les prix ont quadruplé : un costume d’homme coûte 800 marks, et tout le reste est à l’avenant.

Les seules épaves qu’ait laissées la guerre dans ce bien-être apparent sont les mutilés postés au coin des rues et les malheureux secoués de tremblements nerveux qui demandent l’aumône en tendant leurs vieilles casquettes militaires. Mais sortez des quartiers du centre : aussitôt le spectacle change, la misère surgit, les guenilles foisonnent et les enfants vont pieds nus.,

Ce qu’on ne voit plus guère dans la capitale du militarisme allemand, ce sont les militaires, hormis les officiers et soldats des missions étrangères, qui circulent à pied ou en auto. Devant moi passent des uniformes français : les promeneurs leur jettent un coup d’œil rapide, indéfinissable, et échangent entre eux quelques mots. Le corps de garde si animé du Pariserplatz, où les soldats couraient aux armes en entendant chanter la sirène de l’automobile impérial, est vide. De loin en loin apparaissent quelques troupiers gris ou verts de la nouvelle armée, la « Reichswehr, » mais combien insignifiants et modestes à côté de ceux de l’ancienne ! Disparu même le casque à pointe argentée des agents de police ; disparus les officiers sanglés dans leur tenue, qui piaffaient à la porte des hôtels et des restaurants.

Ce qu’on ne voyait pas autrefois, c’est la double rangée