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pied d’égalité, sans réparations, ni sacrifices, ni restitution de butin, ni cessions territoriales, à moins qu’elles ne fussent ratifiées par des plébiscites. On interprétait avec tranquillité les quatorze points rassurants du programme de Wilson. La Société des Nations n’allait-elle pas rendre bientôt à l’Allemagne la place qui lui revenait dans le concert mondial ?

Jugez de la stupeur dont fut frappée cette population en proie à de pareilles chimères, quand elle s’est trouvée face à face avec la réalité et qu’elle a connu les conditions de paix des Alliés. Elle n’y voulait pas croire ; elle n’a pas pensé un instant que l’Assemblée de Weimar y souscrirait. Ses dernières illusions se sont envolées comme les autres et les étrangers qui ont vu les Berlinois lire sous les Linden le télégramme annonçant le vote de l’Assemblée nationale ont noté leurs figures convulsées, les pleurs qui les sillonnaient et le désespoir dont elles étaient empreintes.

Et le Kaiser ? On n’en parle plus. Silence général et voulu sur lui comme sur son fils. Mais les deux Hohenzollern ont eu un trop mauvais départ, n’osant affronter ni l’ennemi victorieux ni leur armée en révolte, pour que les chances de leur restauration ne semblent pas très compromises. A défaut de la famille de Prusse, le choix serait difficile entre les autres maisons royales ou princières. Elles ont été déracinées si facilement qu’on a bien vu qu’elles ne tenaient pas au sol. Le plus intelligent des princes allemands est peut-être Max de Bade. Mais il est discuté et critiqué ; il a le sort des hommes trop prônés, dont on a beaucoup attendu et qui n’ont rien donné.

Le gouvernement républicain est faible et sans prestige, mais c’est le seul possible en ce moment. Il fonctionne tant bien que mal, grâce à l’ancienne administration qu’il n’a eu garde de licencier, comme un navire désemparé continue à marcher dans son erre. Noske a montré de l’énergie dans la répression des troubles spartakistes. Erzberger a eu le courage de prononcer les paroles décisives qui ont eu raison à Weimar des dernières hésitations. Sa tâche était des plus ingrates et des plus ardues. Brockdorff Rantzau était revenu de Versailles persuadé qu’il avait joué le Congrès ; il prêchait la résistance cantonnée sur le terrain du droit ; il prétendait que les Alliés n’oseraient pas renforcer le blocus de l’Allemagne comme moyen de contrainte. Erzburger et Scheidemann ont soufflé